Après avoir lu le Tome 1, qui s'achevait à l'exécution de Louis Capet le 21 janvier 1793, il n'y avait pas d'autre choix que de se lancer dans la lecture du second, qui raconte la suite et fin de la Révolution Française, c'est-à-dire jusqu'au 15 décembre 1799. La Révolution Française reste un grand mystère, même quand il en est percé à jour les tenants, les aboutissants, les ressorts secrets ou les éléments logiques. Finalement, en 1789, la France n'est pas tellement différente des autres monarchies européennes : toutes étaient bercées plus ou moins fortement par les Lumières (Suède, Toscane, Pologne, Angleterre, Autriche), par la libre-pensée, par un athéisme naissant, par une redécouverte des textes matérialistes et de la philosophie épicurienne ou même par la volonté de mettre en place un régime d'assemblée. Comme tous ces pays, la France en était parcourue, et d'ailleurs son aristocratie, ses Parlementaires et sa haute bourgeoisie s'en faisaient parfois les défenseurs et tentaient, parfois avec succès, d'imposer certaines avancées que l'Europe entière connaissait, et même les Etats-Unis d'Amérique dont la guerre d'Indépendance n'est absolument pas comparable avec celle qui fut la notre. Comment alors expliquer le caractère exceptionnel, inouïe, incroyable et disruptif de notre Révolution qui traumatisa l'Europe entière, une partie de notre population et de nos dirigeants ? Comment expliquer une telle violence, une telle avancée, une telle vivacité et une telle expansion en quelques années seulement, en opposition à un régime âgé d'un millénaire? Comment expliquer l'exécution d'un Roi, figure tutélaire de Dieu, la volonté de réformer la religion, parfois même de l'annihiler, et la chute de tous les privilèges si traditionnels,, en quelques mois ? Comment expliquer que les idées les plus novatrices se sont mêlées au sang de ceux qui se faisaient les défenseurs des anciennes idées, à l'étranger comme dans notre patrie ? L'on pourra en tirer toutes les conclusions, toutes les hypothèses, mais pour l'instant, ce trait caractéristique propre à la France ne semble pas s'expliquer rationnellement.
Quelques questions cependant.
Où se fait la Révolution Française ?
Force est de constater que la Révolution est faite avant tout à Paris, puis dans les villes, et très à la marge dans les campagnes. La bourgeoisie urbaine, les Avocats, les "ouvriers urbains" et les indigents affamés par la hausse du prix du pain (120 000 sur 600 000 habitants à Paris) constituent la force vive et donc violente de cette Révolution. Si d'autres grandes villes singent les affrontements parisiens, comme Lyon, Bordeaux, Toulouse, Lyon, rien n'arrivera à la hauteur des événements de la capitale.
Les épurations successives des Montagnards
Les Montagnards sont considérés aujourd'hui comme des terroristes monstrueux assoiffés de sang, assassins, violeurs et ancêtres des régimes totalitaires du XXème siècle. La vérité est plus complexe, et surtout plus nuancée. L'épuration des Girondins est le premier fait d'armes des Montagnards et s'explique par trois raisons : le refus des Girondins de résoudre la famine en partageant les propriétés, leurs liens troubles avec la Monarchie et l'Etranger ainsi que leur manière d'envisager l'Etat. Si rien ne justifie leurs exécutions, la parodie de justice instaurées par la Loi des Suspects, et d'autres encore plus iniques, les Girondins ont tout de même participé à des agissements anti-révolutionnaires et anti-sociaux. Ensuite, la Montagne n'est pas aussi soudée que cela. Si au départ, tous s'accordent pour persécuter Girondins, aristocrates et Royalistes, très vite, un noyau central incarné par Robespierre, Saint-Just, Couthon, Collot D'Herbois, Billaud-Varennes prend les choses en main dans le Comité de Salut Public, imposant une Révolution de combat, déiste avec le culte de l'être Suprême et un droit d'exception. D'abord, les Indulgents, favorables à la clémence, incarnés par Danton et Desmoulins jadis responsables des massacres dits "de Septembre", seront passés au fil de la guillotine. Déjà un peu avant, les hébertistes athées et déchristianisateurs avaient été exécutés, le tout sous le regard amusé de Fouquier-Tinville, l'accusateur public. Des représentants de la Révolution sont envoyés en Province pour massacrer les ennemis de la Convention, comme les chouans en Vendée, favorables à la Monarchie. A Nantes, Carrier massacre en masse et organise des mariages républicains, noyade de couples aristocrates dans le fleuve. A Lyon, Fouché mitraille la foule des "modérés" et des "Royalistes". Les morts affluent par centaine, dans des calèches, à un point tel que les spécialistes ont nommé cette époque "la Grande Terreur". Robespierre, "L'Incorruptible", reste inflexible, et les Députés du Marais, ses anciens alliés Montagnards s'allient pour le faire tuer lui et ses alliés, sans doute pris de peur d'être eux-aussi exécutés. Dernière épuration qui mettra fin à la Grande Terreur, et qui se terminera d'ailleurs par la mort des derniers Montagnards, pourtant anti-robespierristes.
La Terreur a-t-elle été nécessaire ?
Aujourd'hui, la pensée dominante estime que la Grande Terreur est l'invention du terrorisme, une folie pure et un acte d'intolérance. Aux vues des écrits de Marat, grand personnage de la Révolution dans l'Ami du Peuple, des écrits d'Hébert, et des témoignages sur les propos de Robespierre, c'est en grande partie vrai. La Terreur a été parfois aveugle, souvent inique et cruelle. La vue de milliers de Sans-Culottes affluant dans les prisons pour décapiter à couteau de boucher des prisonniers non-jugés, à fouetter des bonnes sœurs ou à massacrer en masse est dans nos esprits évidemment considéré comme affreux. N'oublions pas cependant que l'on ne doit pas regarder le passé dans un rétroviseur, et que l'histoire ne peut être regardée comme quelque chose de "bien ou de mal", mais doit être regardée rationnellement. La Grande Terreur a aussi permis l'anéantissement des armées vendéennes, soutenues par les Anglais à l'Ouest. Elle a permis aux armées françaises sur le front de l'est de vaincre les armées étrangères. Elle a aussi permis aux petites gens de se nourrir mieux qu'avant, et d'ailleurs mieux qu'après la mort de Robespierre, puisque le prix du pain était limité par la Loi. Si Robespierre était un homme particulier, il n'en a pas moins à un moment donné peut-être sauvé la France de ses ennemis, et peut-être même d'en maintenir en partie la pérennité. Rappelons également que la Convention Montagnard impose le suffrage universel, autorise le divorce, abolit l'esclavage (que Napoléon, adoré par ceux qui détestent Robespierre, va rétablir) et supprime les délits relatifs aux moeurs. Ensuite, à la mort de Robespierre, sous la Convention thermidorienne tenue par Boissy d'Anglas, et par des bourgeois lâches comme Fréron, Tallien, Barras ou Fouché, la pauvreté a explosé, et ainsi le brigandage, puisque la limite du prix du pain a été abolie. Ensuite, la Terreur Blanche a très vite remplacé la Grande, en tuant tout autant et tout aussi cruellement, notamment par l'intermédiaire de la Compagnie de Jésus, la Compagnie du Soleil ou les muscadins, jeunes aristocrates parisiens assassinant les Sans Culottes, fouettant les femmes pauvres et se nourrissant de pâtisseries, tandis que croupissaient les mendiants. Une vision manichéenne n'est donc pas possible à maintenir très longtemps, puisque le régime post-robespierriste, a été à certains égards plus violent et plus inique que le Comité de Salut Public, déjà bien criminel.
*Les coups d'état du Directoire. *
Très vite, en 1795, une nouvelle Constitution est rédigée. La déclaration des droits comporte également des devoirs, est supprimé le droit d'insurrection, le suffrage universel est supprimé, les Bourgeois règnent en maître au côté des muscadins aristocrates, s'amusent, fêtent, se livrent aux excès tandis que se meurt de faim le Peuple. Le pouvoir législatif est composé d'un Conseil des Cinq Cent, qui initie les Lois, et d'un Conseil des Anciens, qui les vote. Le bicaméralisme permet d'éviter les abus qu'occasionnait la chambre unique de la Convention, et on estime alors que la jeunesse a des idées, et que la vieillesse dispose de la sagesse. Le pouvoir exécutif est divisé, pour éviter un nouveau Comité de Salut Public, entre cinq directeurs, nommés par les Assemblées, renouvelés par cinquième tous les ans. Les plus naifs penseraient que la démocratie pourrait enfin régner, mais c'est sans compter les multiples coups d'Etat et perfidies de ce nouveau régime, uniquement bourgeois. Le décret des "Deux-Tiers" empêche la victoire des Royalistes aux élections législatives de manière scandaleuse, et ceux-ci sont envoyés très vite en Guyane par centaine, et massacrés par Napoléon lui-même. Gracchus Baboeuf, demandant l'égalité des propriétés, est massacré par Barras et ses amis, trop contents de disposer eux-mêmes de nombreux biens. Le Directoire tape à sa droite et à sa gauche pour se maintenir au pouvoir, et ne parvient que difficilement à gérer les différentes crises : sociales, sécuritaires, à l'Ouest, et sur le Front. Très vite, les Sans-Culottes regrettent Robespierre, et des nombreux Députés expriment leurs sympathies pour une éventuelle Restauration. Le coup d'Etat final sera celui, victorieux, de Napoléon Bonaparte.
Les débuts de Napoléon
En 1792, Napoléon est un militaire proche des Robespierre, et notamment du frère aîné. Il rétablit l'ordre à Toulon, et se montre zélé à la tâche. Sous la Convention Thermidorienne, l'homme est arrêté puis relâché, mais rayé des effectifs, à cause d'un soupçon de jacobinisme. Pourtant, Napoléon n'a aucune autre conviction que son ambition, et crie "Vive le Roi, vive la Ligue" afin d'obtenir un poste. Il traîne ainsi dans Paris dans le cabinet de Barras, où il rencontre Joséphine de Beauharnais, ancienne esclavagiste et maîtresse de Barras, avec qui il se marie. Il flatte à droite à gauche, il flâne, il boit, il se pâme dans le luxe et le lucre, et obtient à force de flagornerie le commandement des troupes d'Italie, notamment après son coup d'éclat qui consista à massacrer en masse les muscadins. Le "Capitaine Vendémiaire" pille l'Italie, se fait passer pour le libérateur des peuples alors qu'il maintient les différents Rois sur le trône, il envoie les richesses italiennes à Paris, crée deux Républiques artificielles dites "Sœurs", désobéit aux ordres, refuse de corriger le Pape, initie des pourparlers avec l'Autriche, complote contre les Directeurs ou les Royalistes successivement, entretient des relations avec des hommes notoirement corrompus comme Talleyrand et Fouché et finalement, après une campagne d'opportunisme victorieuse en Egypte, revient à la capitale où il organise contra legem un coup d'Etat contre le Directoire. Ce petit homme profite de la place de son frère, de l'appui de l'armée présente dans la capitale contre la Constitution pour s'imposer comme un des membres du triumvirat du Consulat déclaré. Le lecteur en tire comme leçon que les hommes sont soit trop idéalisés, soit trop diabolisés, et que le réel s'en trouve toujours sacrifié, après les différents filtres des époques et des historiens. La Révolution, paradoxalement, elle, malgré ses horreurs, ses atermoiements, et ses échecs, n'en reste pas moins resplendissante.