Marc Dugain, j'avais adoré son roman sur Edgar J. Hoover, "La Malédiction d'Edgar", fascinante biographie d'un des homme les plus puissant du monde et, par son prisme, chronique d'une Amérique paranoïaque, livrée à la brutalité. Ici, Dugain traite de manière romanesque, et fictionnelle, la vie du célèbre Ed Kemper, tueur en série d'une perversité et d'une violence insoutenable.
Par le biais de la fiction, Dugain prend donc l'espace nécessaire à une plongée aussi passionnante que déroutante dans l'esprit de Kemper et c'est avec un talent évident qu'il arrive, grâce à son style, à nous offrir une intimité avec ce gros bonhomme trimbalant avec une certaine gêne une intelligence et une carcasse bien trop grandes pour lui.
Dugain arrive, d'un bout à l'autre du roman, à rendre crédibles et enthousiasmantes les réflexions d'un homme au QI extravagant. Habilement, l'auteur construit ainsi une réflexion poussée en travestissant son propre point de vue sur Kemper en une brillante auto-analyse effectuée par le tueur lui même grâce à un récit à la première personne d'une virtuosité déconcertante. Ce récit, une autobiographie imaginée donc, s'articule autour de chapitres contemporains, écrits ceux-là à la troisième personne, où le tueur fait part de son envie de publier son histoire et où l'auteur, par la voix de son personnage, s'interroge sur son oeuvre. Il disserte avec sa visiteuse de prison des difficultés qu'il a à affronter certains sujets scabreux, ou certains épisodes de sa vie. En parallèle, le lecteur comprend progressivement que Kenner/Kemper/Dugain ne s'intéresse pas aux aspects les plus sordides de son histoire et il est difficile d'en dire plus sans déflorer l'une des idées les plus brillantes de ce livre. En ce sens, je me demande si le dernier chapitre, le 75ème, était bien nécessaire.
L'Avenue des Géants aurait pu n'être que la chronique d'une Amérique qui passe d'une guerre juste à une guerre sale et du désemparement d'une génération face à ses enfants vue à travers de l'un de ses monstre, mais c'est avant tout la tragédie abominable d'un colosse qui poussa de travers dans l'indifférence d'une Amérique mythique qui lui est étrangère. C'est une histoire d'enfermement tragique au pays des grands espaces. Par le choix de la première personne, la folie, omniprésente, est évacuée au profit de l'histoire intime d'un ogre qui n'a jamais réussi à prendre la route, à s'échapper d'une réclusion terrible jusqu'au jour de sa libération, lorsqu'il sera finalement enfermé pour de bon.

MelvinZed
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le 12 sept. 2022

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Melvin Zed

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