Comme beaucoup, mon attrait pour ce livre vint de cet enjeu de romancer la vie d'un tueur en série réel. Et si vous êtes un temps soit peu passionné par le sujet, alors le nom de Stéphane Bourgoin ne vous sera pas inconnu. Il faut d'ailleurs saluer l'auteur d'avoir cité ce spécialiste des tueurs en série à la fin de son livre, car il me semble que Marc Dugain n'a fait que s'appuyer sur les interviews entre Stéphane Bourgoin et Ed Kemper (dont la vie a inspiré le livre).
J'avais découvert ce tueur par le biais d'Infrarouge, mais force est de constater qu'en revoyant un autre documentaire de Stéphane Bourgoin sur ce tueur, plein de détails du livre découlent de cette interview, jusqu'aux menus détails de certaines scènes. C'est donc à se demander si un vrai travail de recherche plus approfondie s'est fait ?
Et si l'auteur ne cherchait qu'une simple inspiration pour se glisser dans la tête d'un tueur en série, il faut accepter que ce travail n'ai pas été fait pour la simple et bonne raison que l'auteur voulait s'emparer de cette vie afin d'en écrire un livre de fiction, et non pas un essai ou une biographie.
Et c'est peut-être ce qui m'a le plus perturbé, cette ambivalence permanente entre les faits réels et la fiction. Le livre est bien écrit, avec cette facilité à se glisser dans la tête de Al et de ses tergiversations sur ses pulsions. On se prend assez vite d'empathie pour un tueur froid et pragmatique dans l'acte de tuer des membres de sa famille, si bien que son rapport à sa mère nous devient complètement familier et excuserait presque ses envies de meurtre. Et pourtant si on s'accroche aux faits de Ed Kemper (le vrai), il nous manquera cette intelligence supérieure (pourtant évoquée dans le livre), cette pulsion du passage à l'acte que l'auteur va nous voler, par lâcheté de ne pas aller jusqu'au bout de son immersion ou simplement par pudeur. Quoi qu'il en soit le spectateur reste frustré quand à ce passage à l'acte latent qui n'arrive jamais ; même celui qu'on attend le plus, largement installé par la relation à la mère nous sera dérobé en quelques lignes alors que le ton du livre laissait jusque là entrevoir sa façon de gérer ses pulsions. Le suspense et l'ambiance que Marc Dugain crée sur la vie de ce garçon ne sera pas utilisé lorsqu'il prend la vie des autres, et cela m'a terriblement frustré.
Après je peux comprendre ce choix, délibéré certainement, de ne pas sortir un énième livre à scandale où l'on oublie trop souvent la victime pour se consacrer uniquement au cheminement qui pousse à la mort d'autrui, n'empêche que l'auteur attire quand même les foules avec un sujet pareil et on crie donc un peu à l'arnaque.
On pourrait aisément croire que c'est exactement ce qui c'est passé dans la vie de Ed Kemper, notamment avec ces chapitres où on revient à une sorte de présent où il est enfermé en prison et évoque l'idée d'écrire sur sa vie. Le flou donc entre ce qui est réel de ce qui ne l'est pas me secoue un peu lorsqu'en plus on a accès à la vraie histoire.
Cependant, malgré les derniers chapitres, j'ai dévoré le livre. Je suis entrée aisément dans cette Amérique en plein changement, chargé de décors californiens, de vie idéale hippie pourtant condamnée ; et la vision d'un personnage qui ne cherche en rien à se déculpabiliser sur ses agissements ouvre l'esprit à un débat permanent sur la question du tueur en série. Néanmoins quand on s'attarde sur la vie du vrai Ed Kemper, la partie romancée de Avenue des Géants annihile parfois la cruauté de cet être hors norme rejeté par sa mère, alors qu'il s'agit d'un être plus complexe doté d'une intelligence manipulatrice qu'il a mis au service de ses meurtres, et que le livre élude dans les kidnappings des auto-stoppeuses.
Pourquoi une si bonne note, tout simplement parce qu'il m'a inspiré.
LuluCiné
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le 12 avr. 2013

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