Plonger en retenant sa respiration
Difficile de noter un livre pareil. D'emblée, il faut préciser que s'il fallait évaluer l'ouvrage uniquement sur le plan moral, c'est évidemment le zéro qui s'imposerait, tant les positions de Céline sont impardonnables.
Après, il ne s'agit pas seulement d'un discours antisémite, il s'agit aussi de mots, de style, d'émotion esthétique et de thématiques ; en bref il s'agit de littérature. Céline nous pose ce problème insoluble : a-t-on le droit d'aimer une œuvre haineuse mais indéniablement marquée du sceau du génie littéraire ?
Plutôt que de disserter sur la question de la culpabilité, je préfère me borner à constater que je ne cautionne pas son discours mais que j'aime la manière dont son discours est écrit. J'aime ce style oral et oratoire, la profusion d'effets de styles et de déformations de la langue, le sens du rythme, la place de l'intuition et des fulgurances, la jouissance de ses positions antidoxiques, l'exagération permanente qui transforme le monde pamphlétaire célinien en pure allégorie.
De ses trois pamphlets antisémites, Bagatelles est à mon sens le plus réussi sur le plan formel. Il mérite qu'on y jette un œil comme on plongerait sous l'eau en retenant sa respiration.