Mention Olibrius Roman Intermédiaire 2023



Je ne cesse définitivement pas d'être agréablement surprise par les œuvres de la maison Rouergue, dont j'ai adopté plusieurs membres de la collection pour ados Epik, mais force est de constater que les romans Intermédiaires ne sont pas en reste. Ainsi, après "Nez rouge et dent cassée", "Diego aime Julie" et " Mon chien, la liberté et les glaces à la mangue", me voici sur le cas de "Bath le Maudit", récit rocambolesque, pied de nez à la religion, parodique sur les bords et joyeusement atypique, c'est un "Olibrius" comme je les affectionne, d'où ma mention personnelle.


Histoire de donne le ton: Observez la couverture et vous noterez que les sculptures de part et d'autres de Barth, vous y verrez à droite la tribut sainte de la Chrétienté, alors que la gauche regroupe des entités monstrueuses comme des gargouilles, des âmes, des lianes piquantes et même la Faucheuse ( qui a l'air de se foutre de la tronche de Bath, à en juger par son doigt moqueur pointé sur lui et son sourire malicieux). Nous sommes 1466, en Italie de la Renaissance, en pleine épidémie de peste, alors que Barth, petit nobliaux naïf, va se retrouver entre deux mondes: Celui de la Religion et celui des êtres fantastiques.



Bartholomeo est fils de la comtesse de Petrosferi, vivant au Monastère de San Marco de Florence, et du haut de ses 13 ans, a une faculté des plus étonnantes: Dans son sommeil, il lui arrive de léviter. Pour le doyen, Anselmo, il s'agit là d'une curiosité fort énigmatique, qui nécessite de se poser une question épineuse: Bath est-il la proie d'une possession démoniaque ou investit du Saint-Esprit? Optant temporairement pour la seconde option, le doyen y voit là l'opportunité de faire un coup de pub au Monastère, mais il est loin de se douter que les choses iront bien autrement. En effet, Florence va être le théâtre d'une épidémie de peste, ce qui va se solder sur la décapitation de Barth, dépossédé de son halo saint. Heureusement pour lui, le bourreau étant malade, son coup scalpe le dessus de sa tête, mais rate son cou. Miraculé de la hache, Barth regagne alors le foyer familial et donc, retrouve sa maman, une femme plus singulière encore que la lévitation fortuite de son fils. Ce qu'elle lui révèle en rajoute une couche: Barth est fils d'un Changelin, un fétaud ou garçon-fée, en somme, et un certain nécromant à l'obscur nom d'Élymas Mürmür, qui serait à l'origine de la peste ( Histoire d'en faire baver au fils de son défunt rival. Ah, ces hommes, quels coqs!), a une dent contre lui. Afin de contrer le fléau viral, Barth devra apporter une relique ,contenue dans un coffret, à un "redresseur de sort", pour que le nécromant soit vaincu. Après une petite mise en scène singeant sa propre mort, la comtesse lance donc son fils dans une quête. Hélas, à peine quelque temps plus tard, en se penchant au-dessus d'une balustrade pour interpeller un détrousseur de cadavre, Barth voit le coffret fuir sa poche pour chuter directement dans les mains du voleur en question. Barth, convaincu d'être malchanceux, devra jouer d'astuce et de ruse pour mener à bien sa mission ( qui est compromise avant même d'avoir commencer) et l'aide d'un certain futur génie des sciences et des arts très sur de lui et d'une acrobate de cirque orpheline de troupe qui n'a ni l'aiguille ni la langue dans sa poche ne seront pas de trop.



Il ne se passait pas trois phrases que j'avais envie de la mettre en citation sur cette page, tant les jeux de mots, les références, les tournures de phrases comiques et les allusions étaient nombreuses. Il y a un savoureux humour sarcastique et parfois ironique, il fait donc avoir une certaine ouverte au second degré et une bonne culture générale rend la chose encore plus drôle.



C'est audacieux, pour un roman jeunesse, de se prêter aussi directement à des thèmes comme la religion catholique, l'ésotérique et le Fantastique, tous imbriqués plus ou moins ensemble dans une réalité. Ce qui est "saint" et ce qui est "démoniaque" sont en fait "fantastique". Bartholomeo est passé par les deux états avant de se découvrir "garçon-fé". D'ailleurs, je me réjouis d'avoir ENFIN un garçon-fé! Mais pour rester sur le thème de la religion, nous voyons assez bien toute l'absurdité structurelle et matérielle derrière cette religion ultra-puissante: les reliques supposément sacrées ( ce sont des morceaux de cadavre, rappelons-nous), toutes les croyances autours de la maladie ( ici, la peste), le statut très relatif de la "sainteté", qui vient avec un paquet des cadeaux et de reconnaissances inutiles ( et sa très précaire reconnaissance, maintenant que j'y pense). Bref, j'adore le pied-de-nez à la religion catholique de ce livre, sans devenir mesquine. Disons que la religion possède des contradictions dont il est facile de se jouer.



Un autre axe de la religion et de l'époque est amené par Leonardo, homosexuel doublé d'un génie, qui a été découvert dans une asile par Barth. L'intelligence et les sciences ont souvent été des craintes de l'église, quand elles ne servaient pas leur domination et leurs interprétations du monde. Pourtant, L'Italie a été un berceau des arts et des sciences, durant la Renaissance. Un curieux paradoxe, je trouve, mais il faut aussi mentionner que les arts et les sciences ont parfois servi le discours et la vision de l'Église. Bref!



Léonardo est bel et bien le Léonardo le plus connu du monde Occidental, l'homme pluridisciplinaire originaire d'un petit village près de Vinci. Coquet, un peu prétentieux, ouvertement gay et aimant la couleur rose, on est vraiment loin du typique personnage masculin, mais je remarque quand même que c'est un stéréotype gay que d'en faire un coquet aimant le rose. Mais bon, si ce stéréotype me semble plus connu dans l'imaginaire collectif, dans la littérature jeunesse, je n'en croise tout simplement pas assez pour qu'il soit récurent. Et puis, il est GRAND TEMPS que la couleur rose retrouve ses lettres de noblesse auprès des garçons: Je vous rappelle aimablement que c'était une couleur d"HOMME antérieurement, la couleur chouchou de certains illustres Empereurs de Rome! Bref. Léo est un personnage historique, coquet de sa personne, le verbe adroit, plutôt fier de lui ( avec raison, je pense) et pourtant pas toujours le plus adroit dans certaines situations. J'aime que Léo soit un garçon bien dans sa peau, conscient de sa propre valeur et affichant sans gêne ses préférences. C'est un personnage qui avait, en outre, clairement besoin d'amis.


Barth, pour sa part, est un petit garçon à sa maman qui doit gagner en confiance. Ça tombe à pique! La maman a justement ce qu'il faut à son fiston hybride: Une quête initiatique! D'ailleurs, quelle femme...heu...surprenante? Je ne suis pas sur qu'il existe un mot unique pour décrire cette personne. Disons que l'imagine jouer aux échecs contre le Diable, remettre à sa place Davie Jones ou faire s'excuser le pape. Encore une fois, j,aime bien ces personnages sortis des conventions. La comtesse semble connaitre son fils même si elle le taquine beaucoup et semble aussi très au fait de la réalité du monde. Aussi, bravo à elle, quand un homme voulait la courtiser à force de philtre d'amour, la jeune comtesse ne s'est pas laissée bernée et a envoyer un parterre de son jardin s'enticher de cet homme imposant à sa place. Héhé.


La jeune Gigi, dont je cite son intro: "Moi c'est Gilda la Cascadeuse. Mais fi de chichis, appelle-moi Gigi". J'adore cette fille, qui n'est ni stupide, ni dépendante, ni décorative. Et une cascadeuse, scusez moi! Fille de troupe de théâtre, Gigi est la première à rencontrer Barth et se retrouve à nouveau sur sa route lorsque Léo manque de tuer tout le monde avec ses feux d'artifices un peu trop efficaces. Habile couturière, c'est aussi la plus sanguine des trois, n'hésitant pas à faire valloir son opinion ou son ressenti - ce qui peut être parfois indélicat, néanmoins. Cependant, Gigi est une fille qui agit avec cœur et courage.



Attention, il y aura des divulgâches à partir d'ici.



Il y a vraiment beaucoup de péripéties et objets créatives dans ce roman, peuplé de labyrinthe forestier aux flûtes enchanteresses porteuses de vague-à-l'âme, de village immaculé où se terre un être malfaisant fabricant de savons particulièrement macabres, un homme aux cheveux si longs qu'ils dépassent du cadre de sa porte de chambre, hanté par une aïeule, un village qui me rappelle la Cour des Miracles, une tapisserie qui tisse l'avenir, un voleur qui signe avec des "Z" ( Oho, la référence à Zoro!) et même une référence à la célébrissime Mona Lisa. Le roman est donc une joyeuse mine de références, avec certaines inspirations de contes et de folklores divers, tout-à-fait le genre de livre génial quand on a une culture populaire diversifiée.



J'aime le travail autours du personnage de Z, celui qu'on découvre être le "redresseur de sort" en question. Les "Héros" sont généralement de gros mâles dodus des muscles, mais pas des neurones, mais Z est plus complexe qu'il n'y parait. Il me rappelle le cas de Métroman, dans le film Megamind, celui où une version de Superman se retire de la société face à la pression d'être toujours "un héro". Z est ce genre de personnage, doté de faculté extraordinaires, mais pesantes. La douceur d'une routine, la possibilité de loisirs ou de prendre des vacances ne sont pas réellement des options quand on sert la Justice avec un grand J, ce qui a poussé Z a confié la source de ses dons au père de Barth, afin de vivre une vie normale. Il a même fait un épuisement professionnel ( si, si, c'est écrit!). Encore une fois, on a rarement l'occasion de parler de la santé mentale, mais il est tout-à-fait cohérent avec l'archétype du Héro de ne pas pouvoir tenir la cadence indéfiniment, ni physiquement ni psychologiquement. Dans la vraie vie, on peut en faire des parallèle: Nos urgentologues, nos policiers, nos infirmiers, nos intervenants, tous ces groupes sous pression dont on attend des soins ou des interventions. Il est bon de rappeler que les gens ont une santé mentale dont il faut prendre soin. Aussi, il est important de rappeler que les héros et les héroïnes sont des personnes et ont donc les mêmes besoins d'avoir une vie, de s'auto-accomplir et de cultiver leur vie sociale. Donc, en un sens, le roman questionne une dimension du bonheur.



Quand au Méchant...bah, on ne le voit que très rapidement, il n'est pas spécialement "présent". Barth passe plus de temps à s’inquiéter de sa présence, en fait. Un peu anxieux, notre Barth.



Ce roman a vraiment tout pour être plaisant: pétillant d'humour, abondant en références, passionnant en aventures, peuplé de personnages colorés et atypiques, sous les bannières de thèmes pertinents et variés. Des illustrations viennent appuyer le texte de temps à autre, pour présenter visuellement les personnages et je mentionne la présence de nombreux référent du monde des Lettres et de Arts dans le récit. Un autre membre sympathique pour les Olibrius qui font ma joie et , je l'espère, celle de nombreux lectrices et lecteurs.



Pour un lectorat intermédiaire à partir du 3e cycle primaire, 10-12 ans+




Shaynning

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