Nous la mangerons, la viande d'ours ! Nous la mangerons crue !
C'est dans Bellew la fumée que l'on prend la mesure de ce que représente l'expérience de chercheur d'or de Jack London, parce que ses descriptions du Grand Nord dépassent logiquement celles que ferait tout écrivain dans ses pantoufles : sauvages, dures et vraies.
"Il se sentait si fatigué qu'il aurait pu au choix tuer quelqu'un ou éclater en sanglots."
C'est ça, c'est exactement ça, en une phrase Jack London a résumé l'insupportable épuisement de celui qui voudrait tomber et dormir dans la neige si accueillante, pour ne jamais se réveiller, mais ne peut pas, parce qu'il y a ce sac de viande à porter, cette mine à trouver, ce coéquipier à aider, cette course à gagner. Alors on ressent cette envie de meurtre inhérente à l'épuisement le plus total, on vit le froid à mourir de souffrance et de peur, on ressent la nuit, la solitude, la faim; tout le livre est une longue description des tourments du corps.
Et pourtant il y a tant de passages réjouissants que je ne peux m'empêcher de citer le sourire aux lèvres :
"Voyez-vous, mademoiselle, je vais rentrer chez moi à San Francisco, j'aurai une femme et des enfants. Et quand je serai vieux, je les amènerai tous autour de moi, enfants, petits enfants, et je leur raconterai mes souffrances lors de la traversée de l'Hudson. Et s'ils ne pleurent pas, vous m'entendez ! S'ils ne pleurent pas, je les fesserai jusqu'à ce qu'ils demandent grâce !"
Et puis des références en veux-tu en voilà, des phrases cultes :
"- As-tu été nourri à la viande d'ours ?
- Bien sûr que oui, quoique j'aie d'abord commencé par le lait de bufflonne pour autant que je m'en souvienne."
Le vent glacé des collines siffle entre les pages et l'aventure résonne comme jamais. Jack London a vécu, il transcrit ce qu'il sait pour le bonheur du lecteur émerveillé que j'étais -que je suis toujours.
Un monument de mon enfance et un récit d'aventure comme on n'en fait plus.