Darman est un modeste libraire anglais. De temps en temps, il part sans prévenir, à destination d'une quelconque ville d'Europe, pour y chercher un quelconque livre ancien.
Mais il y a un autre Darman. Un ancien capitaine républicain de la Guerre Civile espagnole, réfugié à Brighton, appartenant toujours à un réseau et qui reçoit périodiquement des missions.
Même si la date n'est pas précisée clairement dans le roman, nous pouvons déduire que nous sommes vers la fin de la dictature franquiste, dans les années 70. Darman est appelé à Florence. Il y va un peu à reculons, de moins en moins motivé par ces missions. Considéré comme un héros dont on connaît et commente les exploits, il se détache de cette vie secrète, avec ses trucs et astuces dignes des romans d'espionnage (les messages codés, les rendez-vous glauques, les clés cachées dans les toilettes pour ouvrir une consigne dans laquelle se trouve une mallette à remettre à un inconnu) et surtout ses contrats à exécuter. Car, une fois encore, il doit abattre un "traître" qui a été "jugé" responsable de l'arrestation de tout un réseau en Espagne. Et, alors qu'il s'apprêtait à faire demi-tour, Darman se voit plus ou moins obligé de s'envoler vers Madrid, qu'il n'avait pas revu depuis plus de vingt ans.
Darman a donc une double identité. Et l'auteur va en profiter pour faire tout un jeu sur la perte d'identité. Il va multiplier les Darman, au point que même le personnage-narrateur va perdre ses repères. Il y a le Darman libraire anglais, le Darman tueur, le Darman héros légendaire, le vieux Darman fatigué, le Darman de l'affaire Walter et celui de l'affaire Andrade...
Oui, car, en plus de la confusion de l'identité, il y a aussi une confusion des temps. Le passé fait irruption dans le présent, et les deux se confondent au point qu'on n'arrive quasiment plus à les distinguer. En effet, il y a plus de vingt ans, Darman était déjà venu à Madrid pour tuer un traître, Walter. Or, l'affaire du présent (l'affaire Andrade) se superpose à merveille à celle du passé. Le parcours dans Madrid, les lieux fréquentés, et même les personnages sont les mêmes ou se répondent les uns aux autres : "Je devais recommencer pas à pas mon parcours d'alors."
Ainsi, on se retrouve avec deux personnages féminins qui ont le même nom, le même physique et le même rôle, mais à vingt ans d'écart.
Et tout se dédouble : l'action, la chronologie, les lieux, le personnage principal, mais aussi les secondaires. "Elle était capable d'être plusieurs femmes au cours d'une même journée, femmes inconnues, simultanées, identiques, comme d'infinis reflets dans des miroirs."
Le roman est constamment plongé dans une ambiance nocturne et mélancolique. Une ambiance triste aussi. Tous les personnages sont des solitaires, tous les décors sont tristes à pleurer. Des banlieues bétonnées et sordides, des boîtes de nuit sinistres, les anciens cinémas désaffectés... Loin des images cartes-postales de l'Espagne, on est ici dans la crasse du quotidien le plus terne.
Et c'est dans un tel décor que se déroule l'action, comme une tragédie. Car il y a un caractère implacable dans cette histoire. Quoi qu'il fasse, Darman ne peut pas échapper à sa mission. Et pourtant, il passe son temps à chercher des échappatoires, des solutions de repli. Mais n'arrive que ce qui doit arriver; Et Darman est comme prisonnier d'un destin qui le dégoûte.
Comme son titre l'indique, nous sommes donc dans un roman sombre, bien écrit en phrases généralement longues. La fin s'étire un peu et s'enfonce trop dans le glauque, mais l'ensemble, plutôt court (200 pages) se lit vite et avec intérêt.