À la croisée de l’horreur, du fantastique et du naturalisme se niche un petit village étape Sturkeyville, une villégiature où il fait bon mourir, un lieu de perdition, de mystères et d’horreur. La ville imaginaire de Sturkeyville, vieille citée fondée par les pionniers de la colonisation aux pieds des Appalaches, non loin de ses cités sœurs d’Arkham inventée par Howard Phillips Lovecraft ou Castle Rock de Stephen King.
Sturkeyville est le point commun des 6 nouvelles qui composent ce recueil inédit en français de Bob Leman, écrivain américain dont l’œuvre entière est composée de 15 textes. Publiant la première à 45 ans, il publiera ces courts récits entre 1967 et 2002 et sera récompensé par un prix Nebula en 1980 pour sa nouvelle Window. Un auteur rare dont le public francophone avait pu lire quelques-unes de ses nouvelles dans la revue Fiction. Les éditions Scylla, portées par la librairie spécialisée du même nom, proposent une anthologie illustrée de 6 d’entre elles dont 2 inédites.
Nathalie Serval, traductrice et anthologiste qui avait déjà œuvré pour la redécouverte du travail de Lisa Tuttle en dirigeant et traduisant le recueil Les Chambres inquiètes chez Dystopia éditions, s’attaque à Robert J. « Bob » Leman (1922-2006) en retraduisant ses textes et en organisant ce recueil inédit, entourée de la même équipe, Stéphane Perger à la couverture et Laure Afchain à la maquette. Pour compléter les textes, le dessinateur Arnaud S. Maniak à imaginé une illustration pour chaque nouvelle.
-La Saison du ver (The Time of the Worm, 1988)
- La Quête de Clifford M. (The Pilgrimage of Clifford M., 1984, inédit en français)
- Les Créatures du lac (Feesters in the Lake, 1980)
- Odila (1987)
- Loob (1979)
- Viens là où mon amour repose et rêve (Come Where My Love Lies Dreaming, 1987), inédit en français)
Les lecteurs de H.P. Lovecraft, de Clifford D. Simak ou d’E.T.A. Hoffmann ne seront pas dépaysés en entrant à Sturkeyville, comme ses prédécesseurs Bob Leman invite le fantastique dans la réalité, il ouvre une porte au merveilleux (le plus sombre) dans le quotidien de ses personnages. Et si les créatures qui se cachent sous notre lit prenaient forme humaine, et si les monstres qui rodent dans les lacs et les bois cherchaient à se mélanger à nous plutôt qu’à nous manger ?
Si les pages de ce livre sont peuplées de vampires, de vers télépathes ou de géants immortels, les figures les plus effrayantes sont celles des hommes célibataires, des épouses non humaines, des enfants mutants… la famille, le couple, le mariage et la filiation sont les thèmes centraux de l’œuvre de Leman. Un matériau qu’il interroge à travers la fiction d’horreur ou fantastique, une exploration de la norme, de la normalité à travers des aberrations.
L’écrivain détaille ces relations, des familles aristocrates aux rednecks, des notables aux plus pauvres de Sturkeyville. Si dans Loob, cette fracture de classe est aussi une faille temporelle, elle se fait plus incarnée dans Odila ou La Quête de Clifford M. où la famille non désirée aboli les frontières entre riches & pauvres dans une acceptation désespérée de l’Autre qui ne conduit qu’à la mort ou la folie.
Comme pour nous pousser à faire un pas de plus dans les sables mouvants de ces textes, l’auteur invite à nous enfoncer dans ce marais glauque & désespéré avec une pointe de légèreté & d’humour. Un ton enjoué qui captive et nous pousse à continuer dans cette horreur réjouissante. Une écriture unique dans la grande famille des écrivains fantastiques espiègles de Thomas Ligotti à Edward Gorey.