On le sait, Roald Dahl est un maître des mots, de la création de personnages totalement originaux et d’univers que je qualifierais avec barbarie de « magico-dérangeants ». Même si le genre lui a pré-existé, dans les comics ou la littérature enfantine, rien n’est codifié et totalement apprivoisé dans ses ouvrages. Chaque créature semble avoir une vie propre, et son système de valeurs unique, en dehors de son existence de papier. Les dessins de Quentin Blake, complètement associés aux textes de l’auteur dans nos éditions jeunesse, collaient parfaitement au style de Dahl : expressifs et touchants, avec soudain une explosion de traits de plume…
Il y avait des indices dans ses ouvrages pour la jeunesse (des sorcières atrocement cruelles et horriblement laides, des géants mangeurs d’enfants, de chocolatiers moralisateurs) mais les recueils de nouvelles noires de Roald Dahl sont à lire absolument, pour les amateurs de cynisme et de sombres absurdités – parfois (très) érotisées. Lorsqu’on les découvre, on comprend – trop tard ! – à quel point cet homme sait emmener le lecteur dans des recoins sacrément noirs de sa conscience. Et quand on se penche sur sa bio, au passage, on comprend pourquoi.
A lire dans "Bizarre ! Bizarre !", deux nouvelles en particulier : "La machine à capter les sons", où un scientifique a réussi à isoler une fréquence sonore donnant à entendre les cris de souffrance qu’exhalaient les plantes que l’on coupait… dans l’autre, "La Grande Grammatisatrice automatique", un jeune ingénieur crée une machine à écrire des romans automatiquement, évitant ainsi aux auteurs la fameuse angoisse de la page blanche, et permettant aux anciens sans idées de se refaire un nom… ça nous rappelle des algos et autre machine learning stuff, s'pas ?
Par ailleurs, pour ceux d’entre vous qui veulent le suivre sur un versant plus sulfureux, je recommande très chaudement la lecture de "La grande entourloupe".
Des pistes de réflexions terriblement actuelles, un style mordant… c’est peut-être un brin daté, mais en cette rentrée froide de janvier, je vais me dévorer un petit Dahl sur le pouce.