J'attendais de le lire depuis longtemps. J'avais déjà lu et aimé Un traître chez les totos de Guy Dardel, sur les conseils très bons du blog "Romances rouges, nouvelles noires", et j'avais hésité pour celui-ci avant de finalement le trouver en numérique. On en disait d'assez bonnes choses.
J'ai cru que j'allais aimer : le style brusque, très concret, me parlait beaucoup, l'intrigue autour d'un Livre mystérieux et vaguement légendaire qui se dessinait dès les premières pages me plaisait bien aussi.
C'est le premier roman d'Elsa Marpeau que je lis ; d'après ce que je crois comprendre des synopsis de ses autres publications, elle est attachée aux thèmes de la violence sociale et de la misogynie. J'aurais bien aimé voir ces thèmes traités autrement dans Black blocs - de façon plus politique, bizarrement, pour un roman qui se targue d'attaquer un tel sujet.
La découverte du milieu des squats autonomes (d'un squat très spécifique, en fait) par les yeux d'une femme qui y est complètement étrangère fonctionne assez bien au début, mais perd rapidement de son attrait au profit de la seule intrigue policière, puisqu'elle y reste étrangère quasiment jusqu'à la fin somme toute assez prévisible. L'autrice nous vend sa rage et sa violence, mais quelle rage ? La violence des totos et celle de l'héroïne, en manifestation et "à la ville", est mise en scène de façon essentialiste, presque organique. L'héroïne recherche son compagnon disparu, et cette recherche va jusqu'à l'identification : c'est par ce biais que se fait sa politisation, qui ne se traduit que par des actes (participation au bloc au sommet de l'OTAN, relation lesbienne avec l'ancienne amante de son compagnon...) et non pas par une prise de conscience des réalités sociales.
Un seul élément peut expliquer (sauver ?) cette construction de l'intrigue : une remarque d'un personnage de flic, qui explique que ce sont les théoriciens les plus dangereux et non pas ceux qui ont une raison personnelle d'en venir à la lutte. La résolution finale prend doublement le contrepied de cette théorie un peu bancale, et cette révélation est, semble-t-il, la clé du roman.
Au vu des références convoquées par le paratexte (dédicace à ses filles "pour qu'elles sachent qu'il faut parfois désobéir", exergues, la sorte d'épilogue en forme de tract...), le roman se veut politique, un appel au soulèvement, à la désobéissance civile, bref à l'action politique. Le tract-épilogue réexplique l'histoire et ses enjeux, au cas où on ne les aurait pas compris, et cherche à faire du roman lui-même le Livre légendaire et dangereux, presque mallarméen ("Je ne sais pas d'autre bombe qu'un livre", dit-il à un journaliste qui l'interroge sur un attentat anarchiste), qui est au centre de l'intrigue.
Malheureusement, c'est le contenu politique qui m'a manqué dans le roman. On aperçoit les réalités sociales de loin, au bord de la vie bourgeoise de l'héroïne qu'elles ne font qu'effleurer de temps en temps ; le roman est consacré à une violence essentialisée et presque charnelle :
celle des meurtres d'un flic devenu fou à cause d'une maladie refilée par une militante toto
et celle de l'action directe des autonomes. La colère à l'origine de cette deuxième violence est à peine évoquée sous l'appellation de "théorie", et le seul passage où une opinion un peu politisée est exprimée est une critique des soulèvements des banlieues contre les violences policières racistes en 2005. Vraiment, j'attendais mieux.