Incontournable Février 2022


"Blaireau et Putois" est un roman à couverture rigide illustré destiné à un lectorat jeunesse d'environ 9-10 ans.


Petit point erroné ici: il y a une erreur évidente par rapport au titre. Dans la version originale "Shunk and bagder" aura du être traduit "Moufette et blaireau". Ce constat se confirme quand on observe les images de Klassen: C'est bien une "moufette", l'animal à fourrure noir barrée de blanc, ayant une queue touffue. Le "putois" est un animal européen au pelage brun, à la queue mince, mais qui dispose du même système de défense malodorant. Donc, on a le bon animal en dessin, mais pas dans le texte. En faisant quelques recherches, la confusion est fréquente et ce genre d'erreur ne fait qu'accroitre plus encore cette confusion. Considérant que l'histoire est états-unienne et les images également, il me semble qu'il aurait fallut garder le bon nom pour "Moufette". le mot "putois" n'est pratiquement pas utilisé en Amérique du nord et avec raison: on en a pas! Même constat pour Lula, qui est une "martre des pins" dans la version présente, mais une fois encore, cet animal est européen uniquement. La martre à tête grise en revanche, est américaine. Je sais qu'on traduit parfois avec des animaux connus des jeunes, mais c,est une mauvaise idée. Ça risque surtout de semer la confusion et ne respecte pas l'origine de l'autrice et de l'illustrateur. Je vois mal comment on pourrait changer un panda ou une girafe par un autre animal, par exemple. Mais j'extrapole là.


Sinon, qu'avons-nous? Une histoire de colocataires, avec ce côté vieillot qui me rappelle ces vieilles histoires en littérature jeunesse où on remplaçait les humains par des animaux pour faire passer des messages. Parce que c'est bien de ça qu'il s'agit au fond: traduire des réalités très humaines: celle des préjugés ethniques, des habitudes rigides et de l'amitié.


Blaireau est un spécialiste des "roches et minéraux", il y consacre religieusement tout son temps, de manière routinière qui ne déroge jamais à quelque variantes fantaisistes que ce soit. Mais la maison de grès brun qu'il habite n'est néanmoins pas sa propriété. Elle lui a été prêtée par Tante Lula, une martre, qui veut lui donner une chance de mener ses projets de recherche tout en gardant la tête hors de l'eau côté finances. Mais sa tanière de quiétude organisée va être investie d'un nouvel habitant: Putois ( qui est une moufette). Putois est malheureusement victime de la réputation des gens de son espèce et Blaireau, quand il apprend que Putois est son nouveau colocataire, lui fait un accueil vraiment peu respectueux ( Notamment lui donner le placard comme chambre). Cependant, comme on s'en doute un peu, Putois n'est pas le petit animal malpropre de base extraction comme semble le penser Blaireau, mais au contraire un animal cultivé, curieux, enjoué, socialement engagé et même habile cuisinier. Il lui fait faire connaissance avec les poulets du quartier, lui fait découvrir des livres et partage ses succulents déjeuner en échange de sa contribution au lavage des plats. Bref, tout semblait aller bien et peut-être même lui faire regretter d'avoir demandé à Tante Lula de le faire partir, jusque dans une situation particulière, Putois doive se servir de son "jet" pour chasser un très déplaisant rôdeur. Alors, Blaireau utilise le mot de trop.


Il est difficile de ne pas voir ici les préjugés de certains états-uniens contre les minorités visibles comme les communautés racisés comme les afro-américains, les autochtones, les mexicains, les chinois, les immigrants/migrants fraichement débarqués et même la communauté LGBTQIA+ ( Quoique ces groupes peuvent avoir les mêmes soucis ailleurs dans le monde, mais je m'en tiens à ceux du pays concerné) . Tous ces groupes qui ont des étiquettes de "nuisibles" à un moment ou à un autre de l'histoire de ce pays ou dans certains foyers actuels. Ce n'est pas toujours simple, mais l'élément clé est de donner la chance au coureur: Quand on ne connait pas la personne, autant lui donner une chance de se faire connaître. le problème avec les préjugés, ce n'est pas d'en avoir, c'est d'arriver à passer par-dessus.


C'est un roman tranquille, je dirais, très tranche-de-vie, avec ses petits moments mignons, ses petits amicaleries maladroites et ses péripéties cocasses. Ces poulets m'auront turlupinés un peu, tout-de-même: est-ce que ce sont des équivalents de chats? Ou des membres de la communautés? Comme il y a une librairie pour poulet, je suis tenté d'aller pour la seconde option, mais que penser du fait qu'ils ne parlent pas comme tous les autres animaux? Simple différence de langue, peut-être. Comme je les ai trouvés choux ces poulets!


Côté écriture et sujet, je dois avouer que suis perplexe- dans le bon sens. Comme le tout est simple à lire, j'aurais tendance à dire que les 9-10 ans devraient être à l'aise, et en même temps, je me demande comment ils vont percevoir cette histoire, qui me semble presque destinée aux adultes. Curieusement, la tolérance, c'est souvent plus un enjeu d'adultes que d'enfants, parce qu'ils sont assez généralement plus tolérants face à la diversité ethnique. Je pense que ce roman est peut-être tout simplement de ce genre qui peut être universel. Les personnages sont adultes, d'ailleurs, ce qui est somme toute rare en littérature jeunesse. En ce sens, je verrai même ce roman dans les mains de nos aînés qui se cherchent une histoire au français pas trop compliqué et au format plus court que les romans usuels pour adultes. Des intéressés?


Sinon, ce côté "adulte" est peut-être aussi accentué par le style d'illustrations de Klassen, que je trouve naturellement vieillot avec ses tons sépia, ses lignes hachurées et le style des vêtements et autres objets. On pourrait aussi bien être en 1950 qu'en 2022 - quoiqu'il n'y a d'écrans nul part et on communique par la poste.


Et puis, cette passion pour les pierres m'aura bien fait sourire, parce que je pense à mes petits lecteurs qui les apprécie, eux-aussi. Vous seriez étonné de voir combien de jeunes aiment admirer la diversité des minéraux et roches, on vend même des boitiers avec une douzaine d'entre elles pour nos amateurs en géologie. Alors quand je vois ces même pierres sur les pages de garde, je me fais la réflexion que ça peut sembler "vieux" comme sujet, mais en fait pas tant que ça. Pour en revenir à Blaireau, notez que sa passion qui occupe ces jours et ses pensées semble suivre une progression très lente qui génère une vie très routinière. Même repas de céréales, même 12 articles à l'épicerie. Blaireau ne s'est même pas rendu compte des merveilleuses boutiques à deux pas de chez lui! Une librairie, un magasin de tartes, un parc!


Donc, au-delà du simple sujet de la tolérance et des jugements persistants, il y a une dimension très intéressante sur le plan de la "vie" dans son sens global. Profiter de la beauté de Mère Nature, développer des liens et des relations sociales, se trouver des hobbies, tenter des expériences, gouter de nouveaux plats, etc. "Sortir de sa zone de confort". On oublie trop souvent que ce sont les petites choses qui font les grands bonheurs ( ou du moins le bonheur durable). Blaireau va évoluer avec Putois ( Arf, "Moufette!) parce que celui-ci a justement compris cela. Il vit avec un tel enthousiasme pour tellement de petites choses, s'en est beau à voir, et il embarque Blaireau dans cette vision de la vie. Ça me rappelle l'adage suivant: "Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin".


Dernier petit point que j'aimerais mettre en lumière: Cette idée du "mot de trop". Dans ce roman, c'est le terme "Nuisible" qui est le gros mot tabou, celui qui désigne en un mot le ressenti à l'endroit du groupe visé par le stigma. Les mots font mal, quand on connait leur contexte précis. En cela, malheureusement, chaque groupe minoritaire a les siens. Même les femmes, à une époque, avec comme mot phare "Incapable". Je pense que c'est un bon choix de l'autrice d'avoir su mettre un accent particulier sur les mots qui font mal, au-delà des gestes blessant et des considérations moindre qui sont souvent aussi du lot. Parce que les mots, les enfants les apprennent à l'école, on peut encore travailler là-dessus, avant que devenus adultes, ils les intègrent et les emplois à mauvais escient ou de la "mauvaise" façon. Comme ici. Les mots peuvent blesser, parfois même plus qu'une gifle, parce qu'ils deviennent alors des fardeaux qui nous suivent partout, comme ce pauvre Putois, qui traine "Nuisible" sans doute dans sa petite valise rouge ficelée. Tiens, me voilà poète!


Enfin, l'ouverture de la fin est très jolie et pleine d'espoir, avec un Blaireau pleins de projets et moins matérialiste, et un putois enfin considéré à la hauteur de sa bienveillance et de sa personnalité solaire. Peut-être y aura-t-il une suite? Et on a même un symbole très beau à la fin avec cette patate qui germe aussi surement que l'amitié des deux colocataires.


Un roman universel, donc, et un bel ajout à la littérature jeunesse états-unienne assurément, bien amené et où tous les groupes d'âge peuvent assurément y trouver leur compte. Attention, c'est souvent le cas en jeunesse, mais ici je pense que c'est simplement plus évident.


"Blaireau et Putois" est un peu comme un sucre à la crème, ça fond dans la bouche, réconfortant, et ça a de petites notes nostalgiques tout en restant assez classique.


Pour un lectorat à partir de 9-10 ans en montant.

Créée

le 23 févr. 2022

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Shaynning

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