Catherine Dufour est à l'évidence amusante (suffit de l'écouter), mais aussi très fatiguante (suffit de la lire). Blanche-Neige et les Lances-missiles, compilation de Les grands alcooliques divins et L'ivresse des providers est la première publication de la dame, et ça sent : c'est aussi digeste qu'un kouign-amann de supermarché.
La première section se prétend un hommage à Terry Pratchett. Mais loin de témoigner de la moindre trace de la finesse de l'humour du Britannique, Dufour empile et enchaîne des monceaux d'évènements, de personnages, d'ellipses, de digressions, de détours historiographiques, d'inventions linguistiques en tous genre, empruntant partout ce qui n'est pas disponible, balançant le reste dans la mixture, ce qui donne un ragoût peu appétissant et certainement pas des plus appréciables pour le lecteur. Sur deux cent pages, on assiste, à la fois fasciné et pantois, au démontage en règle des bons vieux contes de Cendrillon, Peau-d'Âne et la Belle au bois dormant pendant que Blanche-Neige joue les dictatrices quelque part dans les montagnes ; à la descente dans l'alcoolisme des divins du titre, nommément Dieu et le Diable, du fait des malversations d'un arriviste brunâtre mort trop tôt dans ses îles peuplées d'imbéciles avinés ; à des débauches de saucisses mutantes ; à au moins deux fins du monde. Vous ne comprenez rien ? Moi non plus. Sachez juste que le tout s'ouvre sur la présentation d'un peuple de gnomes stupides et méchants (et qui se saoulent, comme tout le monde dans ce bouquin, à la bière de saucisse), sans doute censée faire écho au fameux prologue du Seigneur des anneaux. L'humour de la substitution s'est totalement échappée au cours du processus, comme en beaucoup d'autres points de ce premier récit. Le résultat global est une chose étrange, inqualifiable, d'un humour douteux pour peu qu'il existe, mais indéniablement fascinante pour son inventivité totale.
La seconde partie est nettement meilleure et justifie à elle seule la note. Se déroulant de nos jours, Dufour n'a en rien perdu son goût des digressions, mais au moins elle ne met plus 150 pages à les justifier. Il y a une histoire, avec des personnages dotés d'objectifs définis : bref, un truc structuré, cohérent, que le lecteur peut suivre, un roman, pas un cadavre exquis écrit avec soi-même. À Paris, de nos jours donc, une fée se réveille et aimerait bien arrêter le grand méchant du tome précédent (il est de retour). Pour se faire, il faudrait explorer les méandres d'Internet (à votre avis, qui sont ces gens qui ont le temps de poster des commentaires sur Le Monde ? Les fantômes, tiens) en compagnie de divers compagnons (fées, diablotins, fantômes, etc.) tout en fuyant l'Ankou et ses Pac-Man. Tout en conservant une certaine propension à l'absurde, celui-ci est nettement plus contrôlé : le récit en parvient à être à la fois être satisfaisant et drolatique, qui pour le coup, donne envie de lire la suite pour d'autres raisons que pour satisfaire sa curiosité morbide.
Blanche-Neige et les Lances-missiles est donc un objet particulier, que l'on n'avait jamais lu avant sans savoir que ça pouvait exister. Ce n'est pas pour autant particulièrement bon. En particulier, attention, la quatrième de couverture est mensongère : ce n'est pas du Pratchett, ce n'est pas même un hommage à Pratchett, c'est du Dufour, et c'est sans doute pas plus mal.