Toute la famille ours se prépare pour le grand carnaval de la forêt. Le papa est déguisé en grand méchant loup, la maman en Belle au bois dormant et l'ourson en Boucle d'Ours, ce qui déplaît à son père : les jupes et les couettes, ce n'est pas pour les garçons, son fils devrait plutôt se déguiser en chevalier ou en ogre féroce. Mais le fiston, soutenu par sa mère, refuse de changer d’avis. Et il va trouver un allié aussi convaincant qu’inattendu…


« Anxiogène, effroyable, terrible ». Voila ce que j’ai pu lire à propos de cet album sur certains sites ultracon(servateurs). Mais aussi cette phrase admirable de bêtise crasse : « Cet album vise à déconstruire et ridiculiser les conventions sociales et même les identités sexuelles biologiques sans se demander si ces conventions sont bénéfiques ou non. En particulier dans le cas de jeunes enfants (0 à 3 ans) auquel cet album est destiné et qui ont besoin de repères pour se construire, il parait étonnant de leur mettre dans la tête que l’on peut faire ce que l’on veut. […] C’est un manuel exemplaire de « trouble dans le genre » et de destruction du modèle familial qu’on fait lire à vos enfants de 3 ans dans les écoles de la République ! »


en voyons… Franchement, j’ai mal au ventre en lisant des conneries pareilles. Alors comme ça, ce livre est une abomination. Soit. Il est inadmissible. Il pervertit la jeunesse. Soit. Déjà, le proposer à un enfant de moins de 4-5 ans n’a strictement aucun sens. Mais passons, l’essentiel est ailleurs. Ce livre est dégueulasse parce qu’il est drôle. Furieusement drôle. Et le rire est un pêché, c’est bien connu et ce n’est pas Umberto Eco et son « Nom de la Rose » qui diront le contraire. Ensuite, ce texte est infâme parce qu’il détourne les contes traditionnels, il introduit la figure du loup du Petit chaperon rouge et fait référence évidemment à Boucle d’Or, mais aussi aux Trois petits cochons, donnant dans l’intertextualité, dans l’idée du palimpseste chère à Genette. Il offre aux tout-petits leur première leçon de littérature comparée, quelle honte ! Il brise aussi les repères de nos chères têtes blondes qui, évidemment, sont parfaitement au fait de nos « conventions sociales ». Faut-il rappeler les travaux de Bruno Bettelheim et sa « Psychanalyse des contes de fées » ? : « L’enfant qui est familiarisé avec les contes de fées comprend qu’ils s’adressent à lui dans un langage symbolique, loin de la réalité quotidienne. Le conte laisse entendre dès son début, tout au long de l’intrigue, et dans sa conclusion, qu’il ne nous parle pas de faits tangibles, ni de personnes et d’endroits réels. Quant à l’enfant lui-même, les événements réels ne prennent pour lui de l’importance qu’à travers la signification symbolique qu’il leur prête ou qu’il trouve en eux ». Bref, on est loin de la destruction du modèle familial. Et finalement, moi aussi je peux lui faire dire ce que je veux à cet album.


Ah, j’oubliais. J’ai eu la chance de rencontrer Stéphane Servant la semaine dernière au salon de Montreuil. J’ai découvert un homme charmant et ouvert à la discussion, forcément un peu embarrassé et désolé de voir la tournure que prennent les événements. Nous avons parlé de ce texte qu’il a écrit sans penser un quart de seconde aux interprétations délirantes qui en sont faites par certains culs serrés. Et pour rassurer lesdits culs serrés, je peux affirmer avec certitude que son but n’est pas de faire de tous les enfants des travestis en puissance.


Et si le mieux était de prendre ce livre pour ce qu’il est, c'est-à-dire une histoire légère et drôlissime aux illustrations particulièrement expressives. Une histoire à partager en famille qui fera rire petits et grands le temps d’une lecture complice. Ni plus ni moins.

jerome60
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le 17 juil. 2016

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