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Boy regroupe trois nouvelles, qui mettent aux prises deux enfants et un adolescent avec le Japon du dernier quart du XXe siècle. De la part d’un réalisateur de cinéma, on s’attendrait à quelque chose...
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le 5 avr. 2015
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Takeshi Kitano est l'archétype de l'artiste pluriel. Peintre, créateur de jeux vidéo, cinéaste, écrivain, présentateur télé...l'homme touche à tous les domaines pour tenter d'y apporter sa vision du monde et de la vie. Le bouffon ou la mélancolie, parfois les deux côte à côte.
Depuis quelques années, des éditeurs français proposent des traductions des nouvelles et des romans de Kitano. L'homme est prolifique mais l'intégralité de son oeuvre a du mal à passer les frontières. Néanmoins, je ne saurais que trop vous conseiller la lecture d'Asakusa Kid, roman autobiographique racontant les années de manzaï de Kitano (duo de comique). Le Kitano d'avant le cinéma donc.
Il y a peu, l'éditeur Wombat proposait une traduction de trois nouvelles de Kitano sous le nom Boys. Chaque nouvelle évoquait l'adolescence, avec ses tracas et la mélancolie des yeux de l'auteur, adulte. Même si les trois nouvelles n'ont rien d'exceptionnelles, elles demeurent une récréation agréable pour les lecteurs s'intéressant aux écrits sur l'enfance. L'écriture est légère, le rythme assez rapide.
L'extrait ci-dessous provient de la première nouvelle. Extrait intéressant puisqu'il s'agit pour Kitano de traduire à l'écrit un effort physique forcément graphique, cinématographique même. Les mots semblent, a priori, peu adaptés pour décrire une telle scène et pourtant Kitano s'en sort plutôt bien. Les phrases sont courtes, les dialogues se réduisent à des incitations à l'effort (presque des slogans), les indications purement techniques (les mètres) entrecoupent, comme un constat sportif clinique, ce qui n'est que de la littérature...autant d'éléments rendant cette scène prenante, comme une respiration qui s'arrête l'espace de quelques secondes.
Le narrateur, jeune enfant, participe avec son frère à une course annuelle organisée par l'école. Seulement, le frère du narrateur, Shin'ichi, déteste le sport et préfère la lecture. Lui qui termine toujours bon dernier voit pourtant, lors de sa course, une opportunité exceptionnelle. Le peloton de tête est victime d'un accident. De ce fait, le vilain petit canard donne toute son énergie pour tenter de doubler ces sportifs aguerris et remporter sa première victoire.
« Ma mère et moi on a sursauté, mais le plus surpris c’était apparemment Shin’ichi lui-même. De là où il était, je voyais ses yeux écarquillés de stupeur.
-C’est ta chance, Shin’ichi ! ai-je crié.
Au même instant, sa physionomie a complètement changé. On aurait dit la tête de quelqu’un d’autre. De la fureur dans les yeux, une moue sur la bouche et les joues tremblotant à chaque foulée, il s’est mis à courir avec une vigueur extraordinaire. Rejetant la fausse indifférence qu’il montrait jusque-là, il courait à corps perdu, comme s’il était devenu Tête Creuse. Shin’ichi était parti pour gagner !
Vas-y, Shin’ichi, vas-y !!
Notre mère l’encourageait avec une telle force qu’elle s’était mise à hurler. Elle s’était levée et tapait des mains à tout rompre.
Les évènements prenant cette tournure inattendue, je me suis levé pour l’encourager.
Shin’ichi a bientôt doublé les cinq autres coureurs et s’est retrouvé seul en tête.
Cinquante mètres.
Les cinq autres se sont relevés, mais ils avaient dix mètres de retard.
Soixante mètres.
Shin’ichi agitait les bras et les jambes comme quelqu’un en train de se noyer.
Soixante-dix mètres.
Les cinq autres concurrents se rapprochaient. Shin’ichi a serré les dents. Il était tout rouge.
Shin’ichi, Shin’ichi, Shin’ichi !
Shin’ichi, vas-y !
Plus que huit mètres.
Plus que cinq mètres.
Il n’avait jamais couru avec tant d’énergie. Ses jambes se sont emmêlées, mais il a néanmoins réussi à les allonger et, juste avant la ligne d’arrivée, a jeté tout son corps en avant.
Finish !!
Notre mère a poussé un cri, un vrai cri cette fois.
Shin’ichi s’est effondré la tête la première.
C’était une tragédie. Au lieu de s’écrouler derrière la ligne comme il en était persuadé, il était tombé juste trente centimètres avant. Seulement trente centimètres trop tôt !!"
Les cinq autres coureurs l’ont doublé.
Couvert de boue, Shin’ichi est resté un moment la tête contre le sol, sans bouger. Puis, gardant la tête baissée, il s’est relevé et a franchi lentement la ligne d’arrivée. »
Créée
le 5 janv. 2016
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