Britannicus
7.3
Britannicus

livre de Jean Racine (1669)

Les sources sur Néron sont plutôt faibles (si Tacite et Suétone ont écrit à son propos peu de temps après son règne, seul Sénèque l'a fait du vivant de l'empereur) et surtout il y a plus de rumeurs à son propos qui ont circulé plutôt que des faits vérifiés.
Une légende noire s'est vite abattue sur lui (méritée mais sûrement exagérée), l'accusant d'être l'un des plus cruels et violents despotes qu'ait engendré l'empire, lui mettant même sur le dos le grand incendie de Rome, où il aurait joué de la lyre pendant que la ville brûlait.


En soi, le but ici n'est pas de juger le règne de Néron (qui, dans tous les cas, fut marqué tout de même par une véritable folie), ce n'est pas le but de Racine, mais celui-ci prend ses libertés et évoque un fait connu, autour de son arrivée au pouvoir, de l'influence de sa mère et de ses liens avec son entourage et en particulier son beau-frère Britannicus, le fils de l'empereur Claude, prédécesseur de Néron.


Tout cela permet de contextualiser, car Racine rentre directement dans le vif du sujet.


Il rentre de plein pied dans la légende noire de Néron, mais surtout pour peindre de saisissants tableaux humains. Néron symbolise la soif de pouvoir, littéralement rien ne doit l'empêcher de décider, Britannicus la naïveté, en particulier dans la confiance qu'il va accorder à ceux l'entourant, Narcisse, le traître ultime ou Agrippine, voyant bien trop tard ses torts, notamment dans le pouvoir donné à son fils.
C'est là que Britannicus est saisissant, enfin, là et ailleurs, mais les portraits peints par Racine dépassent les siècles, et montrent ce qu'est l'humain, on pourrait transposer ces peintures à n'importe quelle époque.


Lorsqu'on y pense, Britannicus a tout pour plaire, entre le cadre antique, le fond tragique, l'amour impossible, ses personnages hauts en couleur souvent, mais non dénués de nuance et surtout de finesse, un aspect politique, réfléchi et passionnant, et tout cela est parfaitement lié par la plume de Racine.
Il parvient à faire ressortir de son texte plusieurs types d'émotion, à commencer par l'empathie, en particulier pour Britannicus bien que son côté naïf ait de quoi énerver !
Si Néron est le centre de la pièce, il n'en est pas, à mes yeux, l'élément le plus intéressant, mais plutôt tous ceux qui vont graviter autour de lui, qui vont dépendre de ses envies et la façon dont ils vont réagir. Ici, Narcisse est passionnant à plus d'un titre, par ses complots, ses liens avec l'ensemble des personnages mais surtout Britannicus et Néron, ou ses vices.
Ha les vices, Agrippine n'est pas en reste, et on serait presque prêt à penser qu'elle mérite ce qu'il se passe, elle, mère d'abord castratrice, qui est allée si loin pour placer Néron aussi haut.


Je dois bien reconnaître ne pas être familier avec ce type de prose, et ici elle est éclatante, c'est lyrique, clair et puissant, on se laisse emporter par les saillies verbales des personnages, par la façon dont l'auteur manie les mots, les rimes et rythme son récit.
On ressent les jeux de l'amour et du pouvoir à travers des dialogues ou monologues forts, les complots aussi, et Racine parvient aussi à faire ressentir les affres du temps et surtout les personnages face à leur destin.


Un décor antique fascinant, une trajectoire tragique fatale, des tableaux humains saisissants, une prose éclatante et lyrique, des intrigues politiques passionnantes, on retrouve tout cela à travers la plume de Jean Racine, qui fait de Britannicus un fantastique témoignage de l'histoire, la vision de celle-ci à travers les siècles ainsi que de notre langue.

Docteur_Jivago
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le 8 sept. 2022

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Docteur_Jivago

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