Le troisième roman de notre écrivain national de bandes dessinées comiques se présentait comme l’un des livres les plus attendus de la rentrée littéraire, après le succès de Le Discours. De grandes attentes conduisent à une petite déception.
Après Le Discours paru en 2018, accompagné de critiques dithyrambiques et d’un bouche-à-oreille du tonnerre, Fabrice Caro devait être à la hauteur pour son troisième roman. Son premier roman, Figurec, passé relativement inaperçu, avait été réhabilité entre temps grâce à sa parution en Folio. Le Discours et Broadway, eux, rentrent clairement dans les thèmes chers à l’auteur de BD : l’absurde et un attachement certain aux perdants magnifiques. Le Discours voyait ainsi le flux de pensée d’Adrien, quadragénaire déprimé, encore amoureux de son ex et pétrifié à l’idée du discours qu’il doit prononcer lors du prochain mariage de sa sœur. Broadway présente Axel, 46 ans, marié et père de deux enfants, que la réception anticipée d’un test pour le cancer colorectal va sérieusement mettre à mal.
La vie d’Axel, c’est la vie moyenne que l’on cite parfois pour rigoler : une femme, deux enfants, un pavillon en banlieue, un job routinier et des vacances prévues à Biarritz pour faire du paddle. Au milieu de cette monotonie, Axel s’imagine en Argentine, tel le détective d’*Un privé à Babylon*e de Richard Brautigan qui se rêvait constamment à Babylone pour mieux s’extraire de ses obligations matérielles. Axel se prend aussi à fantasmer sur une professeure de son fils Tristan qu’il rencontre à la suite d’une convocation. Le lecteur croisera aussi un collègue de travail gênant, un texto envoyé au mauvais destinataire, une voisin plutôt à cheval sur la sécurité, une fille en plein chagrin d’amour, etc.
Malheureusement, tout ce petit monde ne constitue pas un roman. Le Discours utilisait la technique du flux de conscience : un monologue intérieur composé de souvenirs et de réflexions remplaçait les actions. Sur le même modèle, Broadway fonctionne moins bien. On dirait que Fabrice Caro utilise le même canevas, celui du quadra dépassé par les événements, pour nous servir de nouveaux moments absurdes et de nouvelles critiques de la normalité. C’est comme si l’éditeur, fort content du succès du Discours, avait fortement encouragé Fabrice Caro à remettre sur le métier son ouvrage (même le titre paraît tiré par les cheveux). Bien sûr, on sourit, parfois on rigole, mais on a l’impression d’avoir affaire à une resucée du Discours.
Nous venons dans ce pub assez régulièrement, une fois par semaine,
souvent le jeudi, après le bureau, pour boire une bière avant de
rentrer, sans ce que rituel soit explicitement décrété. Je sens bien
que François m’y entraînerait tous les soirs si j’étais davantage
disponible. Nous sommes accoudés au bar et je le vois lorgner la
serveuse qui semble être nouvelle, aussitôt je sens son radar de
chasse se mettre en alerte, son expression change imperceptiblement,
ses sens s’éveillent, comme prêt à bondir sur sa proie, et alors
qu’elle pose nos deux bières sur le comptoir, il lui dit sans le
moindre préambule, Saviez-vous que l’origine du sida viendrait
peut-être d’une grande campagne de vaccination contre la polio en
Afrique durant l’après-guerre ? Il lui dit ça avec un sourire charmeur
comme s’il venait de lui déclamer une tirade d’une beauté et d’un
romantisme à couper le souffle (Cyrano, mourant, disant à Roxanne,
Non, mon cher amour, je ne vous aimais pas) et je ne sais plus où me
mettre, la serveuse cherche une explication, une clé, un soutien dans
mon regard que, lâchement, je m’empresse de plonger sans ma bière,
signifiant par là Désolé ne compte pas sur moi, moi-même je ne sais
pas quoi faire de cette situation.