Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
Par
le 23 oct. 2022
4 j'aime
Incontournable Mai 2024
Mention Olibrius Roman Inter 2024*
Quel jolie pépite atypique que ce tome unique pétillant et pleins d'humour, dans lequel Bulle à elle seule rend une histoire toute simple si rafraichissante et entraînante. Dès les premières pages, on sent que la vision du personnage sur le monde est particulière et c'est pratiquement impossible de deviner vers quelle nouvelle réflexion ou idée va tendre Bulle.
Bulle est une jeune fille qui vit avec sa mère et depuis quelques temps, les choses autour d'elle tendent à changer. Or, Bulle déteste le changement et apprécie la routine. Elle cultive un intérêt féroce pour les pignatas, qu'elle sauve des battes en bois lors des anniversaires, s'invente des morts par hygiène douteuse pour ses figurine de dragons et adhère au crédo des chevaliers de contes de fée. Pas banale notre héroïne! Donc, non seulement craint-elle la fermeture de son magasin de jouets adoré, celle du restaurant miteux lui aussi tenu par un drôle d’hurluberlu, mais en plus, le garçon au visage rond qui a ravi son cœur voit sa maison mis en vente. S'en est trop! Bien décidé à sauver au moins la maison de Daniel, son damoiseau en détresse, Bulle entre dans la peau de la chevalière qu'elle souhaite incarner et entre en guerre contre les agents immobiliers, qui vendent si aisément les terrains à toute une ribambelle de hipsters amateurs de café. Parmi ces agents, se trouve sa propre maman.
J'ai adoré le personnage de Bulle, qui malgré ses très piètres habiletés sociales, possède une indéniable créativité hors-norme. Elle est plus que maladroite socialement, elle est parfois inadéquate ou alors à côté de la traque, je ne calcule plus les commentaires et questions qu'elle a adressés aux autres personnages et qui sont délicieusement cocasses ou hors sujet. Même dans les illustrations, vous la verrez faire des choses étonnantes, porter de drôles de costumes ou vous adresser des réponses avec des panneaux. Elle a pour acolyte une tortue philosophe parfois incompréhensible, une maman qui est souvent absente pour le travail et globalement, préfère le confort sécuritaire du prévisible et du routinier à l'aventure, mais puisqu'il le faut, autant le faire avec panache!
Ce roman est l'un des rares romans où je ne voulais surtout pas sauter une ligne de peur de rater une blague ou un constat loufoque. La petite chevalière souhaite sauver son voisin au visage lunaire, Daniel, adorable petit artiste en herbe tout aussi largué niveau socialisation et se déplaçant avec une canne ( il est mignon tout pleins ce personnage!). Et aussi ce monsieur qui crache des pépins dans un seau et sert de gardien à la Grange de jouets, mais qui connait le jouet qu'a besoin chaque enfant, après lui avoir fait déclarer sur un petit papier qu'il a bien fait ses devoirs. Et pourquoi pas le gars du fast-food du coin, le Bourdon grognon, qui ne permet pas à ses clients de mobiliser une table au-delà du temps requis pour manger? La réalité est qu'une bande de hipsters amateurs de café chers veulent acheter des propriétés et bâtir plus de cafés ( ça c'est de l'avis de la petite demoiselle et de son acariâtre voisine madame Trifaldi, qui mange des Babybel sur son toit. Seulement, Bulle tente surtout de gérer quelque chose dont on ignore la teneur pratiquement jusqu'à la fin.
Attention, il y aura des divulgâches.
Moutl péripéties rocambolesques et invraisemblables plus tard, toujours avec le même humour pince-sans rire et pléthore de personnages décalés pour meubler le tout, nous arrivons vers le fond du problème, que je réitère, vous ne pouvez pas deviner. Tout ce temps à nous mener en bateau, convaincu de suivre une petite demoiselle originale dans ses aventures pour empêcher l'oncle de son voisin au visage rond de les faire déménager, voilà que Bulle fait la bêtise de trop. Sa mère réalise que sa fille n'est nulle autre que la chapardeuse de pancartes de vente de ces maisons dont elle a la responsabilité de vendre ( mais ça, on le sait depuis le début). Ce qu'on ne voit pas venir en réalité est la raison derrière ce comportement. Non ce n'est pas qu'une histoire de routine, non ce n'est pas le départ de Daniel et celui des commençant. C'est le départ de son papa, décédé dans un accident et dont la présence lui manque terriblement, et ce au point de s’inventer des quêtes, dont celle de Daniel. Il n'y a tout simplement jamais eu de Daniel, car il n'y a plus de maison devant celle de Bulle...depuis des années. Ceci est donc l'histoire d'une petite fille en deuil qui affronte la vie et la solitude en meublant son quotidien de son imaginaire fertile et qui aurait aimé pouvoir empêcher les changements dans sa vie. J'avais la larme à l’œil.
J'aimerais extrapoler encore sur les petits éclats d'humour qui parsèment le livre tels des pépites sur un gros biscuit moelleux. J'aimerais m'enthousiasmer encore des paragraphes durant sur les références nombreuses et l'atypie des personnages colorés et improbables. Il y a encore tant à dire aussi sur les réflexions tantôt profondes et matures de Bulle, du niveau de Mafalda, alors qu'à d'autres, on croirait suivre les pérégrinations d'une anti-héroïne, qui possède des codes de traitement complètements différents du reste de l'humanité. Sauf que je manque de temps.
Des romans comme celui-là, j'en voudrais tellement plus. C'est audacieux, drôle, déjanté et étonnamment sensible. Ça me rappelle le jour où j'ai découvert la Bd Football-Fantaisie, qui avait l'air d'une histoire comique au dessin d'enfant en apparence simpliste, avant de réaliser que c'était un univers d'une complexité et d'une richesse confondante, porteur à la fois d'Histoire, d'humanité et de philosophie. Le genre de livre qui entre dans notre tête comme une explosion de confettis et qui laisse un peu gaga à la fin, l'air de se dire "Mais sur quoi je suis tombé, moi-là?" et d'en redemander.
Et le tout est servi avec un graphisme qui me rappelle justement un peu Charlie Brown ou Mafalda, avec des accents de South Park ( le dessin, pas l'univers!). Des personnages inexpressifs quasi constamment, des costumes qu'on ne serait tout simplement pas attendu de voir, un trait simple, la coiffure de Bulle qui change de forme au gré des chapeau qui moule ses cheveux, etc. Les dessins sont en pages pleines, en séquences ou juste dans un coin de page.
Stephan Pastis m'offre mon premier Olibrius* de l'année 2024, merci à lui, une héroïne qu'on ne peut pas oublier ( et surtout pas copier) et une histoire dont la dégustation se fait en continue, phrases après phrases, juste qu'à nous captiver complètement. C'est le genre de roman qu'on savoure au complet, pas juste pour avoir la fin.
Ça va être un casse-tête à expliquer tout ça en librairie, mais je vais me casser quelques neurones à essayer, car il est clair que je vais en parler aux professeurs comme aux lecteurs et lectrices. Compte tenu du second degré très présent et des thèmes exploités, je le placerais en 3e cycle primaire, les 10-12 ans, mais les 8-9 ans qui se sentent à l'aise peuvent très bien s'y glisser.
*Un "Olibrius" est une appellation personnelle pour désigner les œuvres atypiques, originales et qui sont marquantes malgré un premier contact qui peut surprendre ou laisser septique. Les "ovnis" de la littérature jeunesse, si vous voulez.
Pour un lectorat intermédiaire du 3e cycle primaire, 10-12 ans+
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Créée
le 5 juil. 2024
Modifiée
le 28 août 2024
Critique lue 10 fois
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