« Tout mais pas plus, hein ? » (p. 32)

Évidemment, si on jugeait les livres selon le degré de sympathie que l’écrivain nous inspire, je considérerais la bibliographie d’Agota Kristof comme une constellation de chefs-d’œuvre. Un recueil dont la dernière phrase est « Nulle part mon père ne s’est promené avec moi la main dans la main. » mérite forcément qu’on y jette un œil. De fait, C’est égal projette les ombres d’une inquiétude émouvante (1), qui le devient encore plus quand on en sait un peu plus sur l’auteur et qu’on pense que ce recueil de 2005 est le dernier publié de son vivant, composé en réalité de textes plus anciens, panne d’inspiration oblige. Il en émane la même mélancolie sans contrepoids que de l’article que Didier Jacob lui avait consacré à sa sortie. (J’ai la flemme d’en copier le lien. Tapez donc « agota kristof je m’en fous » sur Google.)
L’auteur y déclare détester son style. Pour être honnête, je ne l’aime pas non plus, ce style trop étique pour dérouter et trop adipeux pour qu’on puisse en retenir des passages sans les apprendre, trop explicite pour l’arrière-plan et trop implicite pour les aventures. Cela dit, cette conception du style, c’est déjà un style. (Et puis Agota Kristof avait le mérite de ne pas infliger à celui-ci les tortures qu’un Bernard Werber ou une Annie Ernaux revendiquent fièrement comme si leur mission était d’affamer le lecteur.)
Mais pour ce qu’il y a à transmettre dans le recueil – et la littérature d’Agota Kristof est de celles qui ont avant tout quelque chose à transmettre –, pas besoin de style. La plupart des textes qui constituent C’est égal sont des fables ou des apologues et, comme tels, visent avant tout une brièveté sujette à interprétations (2). Le lecteur incurieux estimera qu’il n’y a rien à dire des six pages du « Canal », dans lesquelles un enfant et un puma apparaissent en cauchemar à un homme qui « regardait s’en aller sa vie ». Celui qui a lu Borges ou Kafka préférera sans doute Borges ou Kafka, mais saura qu’il y a quelque chose à en dire et à en penser, et y reviendra comme il relit parfois « Devant la loi » ou « L’Aleph ».


(1) Qu’est-ce qui me prend ? Je me mets à écrire comme dans Télérama !
(2) Qu’est-ce qui me prend ? Je me mets à écrire comme à la fac !

Alcofribas
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le 22 déc. 2016

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