Incontournable Roman Février 2024

Capharnaüm est une étrange petite bête, qui tiens à la fois du huis clos, du thriller et de la psycho noire. Sait-on si on surfe sur un cas particulièrement grave de déni lié à un trouble obsessionnel compulsif de type amasseur, d'un cas de négligence parentale perturbant ou d'un réel cas de maison-ogre éternellement affamé qui semble toujours à deux doigts de manger ses propres habitants? L'histoire nous le dira, comme on dit.

Anne vit dans le moment présent chaque jour, car sa mission est de dégoter un objet à sacrifier à sa maison qu'il n'a pas déjà gouté. Celle-ci n'en fait d'ailleurs même pas de réels encas, recrachant toutes ses offrandes pour former un réel bazar d'objets à moitié grugés un peu partout dans la maison, qu'Anne ne peut en aucun cas déplacer ou jeter à la poubelle. Sa maison est donc devenu un véritable capharnaüm de vestiges d'encas pour maison-monstre. Une maison qu'elle a l'impression d'habiter seule, sa mère étant continuellement enfermée dans on atelier, à coudre des vêtements. Les choses sont appelées à changer quand une jeune fille, Marguerite vient d'emménager juste à côté de sa maison. Une jeune fille qui a un féroce désir d'avoir une amie et qui a découvert un héron blessé.

On dit que pour réussir un roman d'épouvante, il faut savoir créer la bon atmosphère. le moins qu'on puisse dire est que l'ambiguïté est bien là. Nous sommes pratiquement toujours dans la maison d'Anne, d'où le côté huis clos, où la jeune fille consacre tout son temps et son énergie à chercher de quoi nourrir sa maison. Mais est-ce vrai? Je me suis longtemps demandé si ce n'était pas une projection d'Anne, qui meuble le vide laissé par l'absence de sa mère, toujours confinée dans on atelier de couture, à travailler. Si toutes ses "quêtes d'objets" ne servait pas à canaliser sa colère, son impuissance, car elle vit ces émotions. Anne vit littéralement seule, elle n'a pas croisé sa mère depuis des semaines, se nourrissant des item alimentaires qui apparaissent ponctuellement dans le garde-manger et le frigo. Je ne peux qu'imaginer la détresse d'une enfant qui n'a aucun contact avec d'autres humains, c'est terrifiant. Les contacts avec les pairs chaleureux font parti des besoins de base des humains, qui sont grégaires, et un isolement prolongé crée de réels enjeux de santé mentale et peut mener la psyché à créer des choses pour se protéger de cette absence de contact. Ce qui me mène à mon autre questionnement: Marguerite est-elle réelle aussi?

Ce personnage débarque un beau jour et j'ai trouvé sa façon d'entrer en interaction un peu intense, quelque peu imposé. On comprendra plus tard qu'elle a ses propres insécurités et une anxiété mal contrôlée et envahissante, surtout en matière de pensées intrusives. Marguerite imagine souvent le pire, butte sur des détails en apparence anodin, comme le fait de donner un nom au héron, par exemple, ou sa peur quasi phobique des acariens. Elle semble avoir des crises de panique et craint de perdre son amitié avec Anne, même si c'est elle à la base qui s'est imposée. Ça semble négatif , dit comme ça, mais force est de constater que c'était peut-être ce qu'Anne avait besoin. Elle était trop occupée à ses recherches d'objets pour se donner de le temps de socialiser et n'a sans doute pas les meilleurs habiletés sociales pour le faire. Un paradoxe, quand même, pour une personne aussi carencés en vitamines sociales. Mais sur le coup, comme Marguerite semblait si parfaite dans son profil pour Anne, je me suis demandée si c'était un réel personnage. Surtout qu'on ne voit jamais ses parents. Néanmoins, Jamais Anne ne se pose la question, alors c'est peut-être là le résultat de mes propres extrapolations.

L'arrivé combinée de Quenouille, le héron rescapé, et Marguerite, jeune fille angoissée, va demander à Anne d'exploiter de nouvelles forces qu'elle ne se savait pas. Son sens pratique, par exemple. le soucis réside dans le fait qu'Anne doit toujours nourrir sa maison affamée et qu'elle l'ignore maintenant qu'elle est occupée à trouver de quoi nourrir Quenouille ( tient, un autre qui a besoin de nourriture!) et nourrir son amitié. La différence avec la maison, c'est que nourrir l'un et l'autre n'est pas à sens unique. le héron et Marguerite deviennent ses amis, ses pôles sociaux, des générateur de confiance et des facteurs de protection. Il y a réciprocité, contrairement à la maison.

Lentement, mais surement, Anne comprend que sa vie dans la maison-ogre ne sera qu'un long cercle vicieux qui à terme, viendra à bout de sa propre vie, une vie consacrée à remplir une maison éternellement insatisfaite. J'aime croire que c'est là une belle allégorie pour une relation toxique: une relation à sens unique, un éternel recommencement dont l'un des membre ne tire aucun avantage, au contraire de l'autre, l'éternel bénéficiaire capricieux, où tout est orienté vers ses besoins, au détriment de ceux de l'autre. Un cul-de-sac relationnel, en somme, qui ne peut aboutir qu'à une seule issue logique, si elle continue: l'effondrement de la victime.

Il faut énormément de force et de courage pour se sortir d'une telle situation, surtout que changer des comportements est à la base un acte difficile à faire pour une personne. Anne doit s'affranchir de cette maison, qui semble avoir "eu" sa mère, qui ne sort plus de son atelier. Il faut briser le cercle vicieux. Il faut quitter cet environnement malsain, qui brime sa vie. Dehors, il y a toutes ces choses à apprendre, qui semble lui faire défaut. Dehors, il y a Marguerite, grande anxieuse sociale, qui a envie d'être son amie et veut affronter le monde avec elle. Pour ça, il faut trouver une solution. Et quand la maison commet l'outrage de capturer Quenouille, puis son précieux bracelet d'amitié, cette fois, Anne comprend que c'est allez trop loin.

Je regarde l'amitié d'Anne et Marguerite avec une certaine perplexité. Il faut dire que le contexte est très étrange, cela n'aide en rien. Marguerite, par exemple, a su "d"instinct" qu'Anne serait son amie, mais au regard de ses enjeux d'ordre social, il me semble plutôt qu'elle est désespérée d'avoir une amie. En amour et en amitié, on ne peut faire tenir les bases sur quelque chose d'aussi bancal qu'une "intuition", ce fameux "je l'ai su au premier regard". C'est un peu de la pensée magique, quelque chose qui me semble très irrationnel. Pour que cet "instinct" serve à quelque chose, il fait des piliers plus solides, comme la confiance, le respect, des intérêts partagés ou encore une complicité sincère. Ce fut ardu, mais certains de ces éléments sont arrivés en cours de route, mais encore là, ils m'ont semblé un peu forcés. Les deux filles ont besoin d'une amie, mais ce serait dommage que cela en vienne à de la co-dépendance. Reste qu'à quelque reprises, elles se sont soutenues dans l'adversité et ont su trouver les mots pour décrire leur situation hors-norme de part et d'autre. En outre, Anne possède le côté terre-à-terre et le sens pratique qui manque à Marguerite et celle-ci possède une forte solidarité et une ouverture d'esprit dont a besoin Anne. On peut dire qu'elles se complètent bien, il faut juste souhaiter que cela les amène à développer leur estime de soi sans tomber dans la dépendance de l'autre. Mais ça, je ne suis pas sure qu'on le saura.

Je dirais que cette histoire possède une audace que j'apprécie. S'affranchir d'une situation malsaine, parler de la colère d'être seule sans son parent, profiler une amitié tout en parlant d'anxiété à la limite du trouble, ça me semble audacieux. C'est une histoire inconfortable, perturbante, qui pourrait être le résultat d'un esprit juvénile compromis ou un réel cas de monstre-maison qui détruit des vies. Les questions qui s'accumulent sur ce qui se passe dans cette fameuse maison nous tient en haleine et les relations balbutiantes entre Anne, son héron et sa voisine ont un avenir incertain, il y a de quoi se demander tout au long de l'histoire où cela nous mènera.

Il y a aussi un beau travail sur le plan émotionnel. L'autrice a prit le temps de nous faire visiter la psyché de son personnage, ses inquiétudes, sa colère et ses espoirs. Les questionnements et les focus émotionnels ralentissent le rythme de l'histoire, mais tous les thrillers n'ont pas être expéditifs non plus. Certains thrillers sont centrés sur le vécu intérieur des personnages et c'est pertinents, spécialement dans un huis clos. Et dans le cas de Capharnaüm, c'est l'aspect cyclique qui est horrible, cette situation sans issue dans laquelle notre jeune pré-ado doit faire évoluer sa pensée pour espérer s'en sortir. C'est donc, à mon sens, un bon choix de prendre le temps d'asseoir le volet psychologique, pour mieux cerne en quoi cette situation est terrifiante et compromettante.

J'aurais apprécié plus de descriptions des personnages, c'était difficile de les imaginer. Comme Marguerite a été décrite avec des boucles noires et des yeux foncés, je me plait à penser qu'elle est aussi noire de peau, parce que je continue de penser que des enfants au profil ethnique autre que caucasien, il en manque.

Attention, divulgâches en vue!

Quand à la fin, il reste des zones d'ombre. Cette maison en a-t-elle réellement fini? On peut imaginer que cette maison qui croulait sous les immondices va probablement finir détruite, surtout avec ce mur effondré. Je me demande encore comment la nourriture est apparue dans la cuisine. L'adulte que je suis se demande comment un adulte peut resté confiné dans une pièce sans voir à ses obligations, comme gérer les factures d'hydro ou faire des impôts, mais bon, là je sais que j'extrapole beaucoup, Néanmoins, je ne peux m'empêcher de penser à tous ces enfants négligés qui ne se font pas signaler à la DPJ, la protection de la jeunesse. Pour la fin de l'histoire, je pense que le montre-maison avait "dévoré" la maman dans son atelier. On peut imaginer qu'elle cousait pour lui faire des choses à dévorer ensuite, mais à savoir comment elle pouvait offrir un vêtement neuf chaque jour à sa fille reste un mystère. Si Anne et sa mère iront vivre ailleurs, nous n'avons pas toutes les réponses à leur situation antérieure. Mais ce qu'on sait, c'est que la maman n'est pas sortie indemne de son atelier. Il me semble que ce seul aspect est effrayant.

Bref, je suis assez globalement convaincue de ce livre, qui articule des sujets qu'on croise peu souvent en littérature intermédiaire. Si tout n'est pas très claire à la fin, reste que les romans du genre fantastique-horreur le sont souvent. Parfois, il faut accepter que tout n'aura pas de réponses, quand on a une situation qui relève du surnaturel, même la maniaque des détails que je suis trouve ça bien difficile à faire.

Pour un lectorat intermédiaire du 3e cycle primaire, 10-12 ans+

Shaynning

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