Carton jaune
6.9
Carton jaune

livre de Nick Hornby (1992)

Carton Jaune ou comment Highbury et Arsenal peuvent devenir une véritable obsession.


D'abord, comment devient-on vrai supporter ?


Pour Nick Hornby ce fut un simple hasard, un moment de jeunesse où, après avoir été fasciné par un Manchester-Benfica à la télévision, son père l'emmena voir un Arsenal-Stoke à Highbury. Dès lors, il a su qu'il serait lié à vie avec les gunners, bien qu'il se rendra compte plus tard qu'il était plus proche du stade de Reading (ce qui lui valut une honte suprême lors d'un match contre les gunners) que d'Highbury. D'un coup, le football, enfin Arsenal, devenait le centre du monde, l'objet de toutes ses discussions, de ses rêves et de ses sortis, il serait lié à la vie, à la mort et ce qu'importe le niveau de jeu de son équipe (débutant à la fin des années 1960, on était loin de l'ère Wenger et elle était d'ailleurs plutôt réputée pour avoir un jeu sale et brutal mais gagnait quand même quelques titres et même des coupes d'Europe ! Ce qui manque affreusement à Wenger lui qui en a gagné aucune et perdu trois finales, dont deux avec les londoniens, mais ça c'est une autre histoire).


À travers ce livre autobiographique, écrit sous forme de compte-rendu des matchs d'Arsenal (sauf quelques exceptions) allant de 1968 à 1992, on se retrouve plongé au coeur de la vie de Nick Hornby et au coeur des années 1970 puis 1980 en Angleterre et dans le monde du foot. Un monde qui a bien changé d'ailleurs, une vision du foot qui n'existe plus, bien moins aseptisé qu'aujourd'hui et dont, par romantisme et fantasme aussi (et surement) je regrette quelques tournures prises par ce sport, dont le fameux et terrible arrêt Bosman (mais là aussi c'est une autre histoire). C'était le temps où il n'y avait pas un match de football par jour, peu de diffusions télés, un football moins individualiste et une vraie culture propre à chaque pays (ce qui manque considérablement de nos jours, notamment en Angleterre).


Il nous montre d'abord comment sa vie privée, lui venant des classes moyennes avec des parents divorcés, était indissociable à celle de supporteurs, puis son léger éloignement du foot avant de se faire bien vite rattraper par sa passion. Et c'est avec une très belle plume qu'il nous raconte tout cela, plutôt drôle tout en nous faisant comprendre ce qu'était son monde à cette époque et de nous y immerger de la meilleure des manières. Il nous fait vivre sa vraie vie d'alors, ses sacrifices pour assister aux matchs des gunners, ses rapports avec les supporters et la façon de se sacrifier pour une équipe qui n'en valait pas forcément la peine, qu'importe le temps, les études ou autres. Il nous fait ressentir l'importance du football et du supporter en ces temps.


Là où le livre est aussi passionnant, c'est dans la vision du foot en Angleterre, la violence omniprésente qui finit par dégénérer pour atteindre son paroxysme lors du drame du Heysel en 1985 puis celui de Hillsborough en 1989, les deux concernant Liverpool mais surtout le football anglais dans son ensemble (même si dans les deux cas, ça dépasse le cadre des hooligans et l'organisation et les forces de l'ordre sont aussi en cause). Les changements que cela a apportés, notamment dans le prix des places et donc qui était les supporters où les prolos ont laissé la place aux classes plus aisées mais aussi plus exigeantes et voulant avant tout du résultat, contrairement à ceux qui allaient aux stades pour l'ambiance, la baston et était attaché à une équipe pour toujours, qu'importe le classement en fin de saison. C'est aussi l'opposition d'une vision du football, on y retrouve celle des classes aisées par rapport aux autres, mais aussi ce qu'est une vision plus intellectuelle (et la façon dont le supporter de base peut être vue) et enfin une vision du jeu, où sont notamment évoqué le style traditionnel anglais ou celui du football total de Rinus Michels et Johan Cruyff.


Je ne pense pas qu'il faille être forcément passionné de foot (bien que ça aide énormément, surtout si on admire les gunners où ce livre représente la bible) pour apprécier Carton Jaune, bien que certaines références puissent parfois paraître assez abstraitres pour les non-initiés, mais Nick Hornby parvient surtout à nous immerger au coeur de son nouvel amour, oscillant entre sensibilité, humour, pathétisme, ironie, passion et identité. Surtout qu'il n'est pas là pour nous faire des comptes-rendus des matchs, ce qui peut parfois vite devenir barbant mais pour vraiment nous immerger dans l'esprit anglais et des ferveurs presque indescriptibles et uniques à ce pays. Highbury devenant sa nouvelle maison, il montre toutes les émotions et sensations fortes que l'on peut trouver dans le football, surtout pour lui qui fut marqué par le divorce de ses parents. Il saisit de belles manières une tranche de la population anglaise et analyse celle qui va voir la société considérablement évoluée, tout comme le football et faisant le lien entre les deux.


Folie, mauvaise foi, alcool, passion & violence à une époque où Arsenal ne connaissait ni Bergkamp, Wenger, Henry, Fabregas ou l'Emirates Stadium mais David O'Leary, Bertie Mee, Pat Rice, Charlie George et Highbury. Carton Jaune, c'est le récit d'un vrai passionné qui a vu Arsenal lui tomber dessus et rythmer sa vie à coup de déception, de joie éphémère, d'hooliganisme et montrer surtout que le football peut très vite dépasser le simple cadre du sport.

Docteur_Jivago
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le 7 juil. 2015

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