Une hypothèse : et si la nouvelle tendance du polar français, après de longues années de domination du serial killer (bâillements...), c'était le polar social, voire politique ? "Ce qu'il nous faut, c'est un Mort" explore ainsi les vices et les vertus du capitalisme paternaliste, tel qu'il fleurit en France voilà plus d'un siècle, de l'entreprise familiale soumise aux aléas de la généalogie (comme le veut l'adage, le père crée l'entreprise, le fils l'exploite et le petit-fils la coule...). Et force est de reconnaître que cette saga d'une société de sous-vêtements normande, basée a priori sur le cas de Lejaby, constitue un sujet original et passionnant qui justifie presque la lecture du livre d'Hervé Commère. Presque, parce que les amateurs de polars purs et durs tordront sans doute le nez devant une intrigue policière assez simpliste et réduite à une cinquantaine de pages sur 400. Ceci n'est pourtant pas si grave par rapport au problème fondamental de ce livre, qui est son écriture "surplombante" : Commère narre sa saga d'un point de vue totalement extérieur, celui de l'oeil dans le ciel (l'oeil divin ?), ou plutôt du conteur traditionnel, sans jamais nous permettre de vivre au côté des personnages. Si ce style littéraire a donné des chefs d'oeuvre (finalement Homère ou Gabriel Garcia Marqués sont les références ultimes en la matière), l'intrigue à la mécanique étouffante, suggérant un destin implacable et malicieux, voire cruel, semble ici ne laisser aucune chance, aucune liberté aux protagonistes lancés sur les rails d'une histoire qui les dépasse, ou même les condamne depuis son origine même, en ce fameux jour de la victoire française à la Coupe du Monde de 1998. Ils sont les marionnettes sans âme d'un manipulateur qui les agite pour sa démonstration, et les abandonne une fois utilisées... Voire, et c'est pire encore, pour multiplier les effets vaguement racoleurs qui rapprochent parfois "Ce qu'il nous faut, c'est un Mort" de la littérature de gare la plus populaire (ici au mauvais sens du terme). On refermera donc ce livre, qu'on a pourtant dévoré à toute allure, avec une sale impression : celle de n'avoir pas eu plus de liberté, confrontés à la plume manipulatrice de Commère, que n'en avaient ses personnages. [ Critique écrite en 2017]