J'ai toujours été intéressé par la guerre d'Algérie, avant même que l'on ne commémore l'indépendance il y a 2 ans. J'avais aussi plutôt aimé les romans de Yasmina Khadra. Mais ce roman, je l'ai lu en vitesse, pour passer à autre chose. ça partait pourtant bien. Le gros du livre suit l'évolution de l'Algérie sur trente ans (1930-1960) à travers une petite bourgade vinicole pimpante, Rio Salado. Et la reconstitution historique, plutôt bien menée, cède trop souvent le pas à une romance peu intéressante.
Quelque part dans une campagne de l'Oranais. La famille du narrateur, Younès, tout enfant, quitte la terre après que la récolte de la dernière chance ait été brûlée par de mystérieux salopards. Le père, une force de la nature d'une grande rigueur morale, installe tant bien que mal sa famille dans un sordide gourbi de Jenane Jato, un bidonville d'Oran. Mais rapidement, il confie son fils à son frère instruit et pharmacien. Younès est rebaptisé Jonas, est scolarisé avec les enfants de colons, et perd peu à peu sa vraie famille (belle scène où il recroise son père, devenu un clochard alcoolique). Il se rapproche de Germaine, l'épouse française du pharmacien. Son oncle, bienqu'occidentalisé, soutient Messali Hadj et distribue des tracts, mais la police l'arrête, puis le relâche. Diminué, dépressif, il vend la boutique d'Oran pour aller s'installer à Rio Salado, au sud-ouest.
Deuxième partie, "Rio Salado". Jonas/Younès se fait des amis, du côté des "non-indigènes" : Jean-Christophe, riche et solaire ; André, fils de la riche famille des Rucillio, très colon dans l'âme ; Simon, le Juif d'origine plutôt modeste, qui veut devenir fonctionnaire, puis se met aux affaires ; enfin Fabrice, le poète du groupe. Chacun a ses rêves, et tous vivent une jeunesse heureuse et protégée, pas loin de la mer. Et puis arrivent les filles. Younès est initié aux femmes par une bourgeoise au mari absent, Mme Cazenave, qui ensuite lui bat froid, puis se fait téj' par la fille Rucillio, Isabelle, une princesse qui se met avec Jean-Chris' et lui mène la vit rude.
Oui, c'est tout de suite moins intéressant, hein ? Et ça ne s'arrange pas dans la troisième partie, "Emilie", sur une jeune femme que Younès a croisée toute enfant dans la boutique de son père et qui revient, sublime, et tombe amoureuse de lui. C'est la fille de Mme Cazenave (qui ne veut pas la voir fricoter avec Younès). Cette fille ne trouve mieux, pour se rapprocher de Younès, que de se mettre en couple avec Fabrice, pour le larguer et faire miroiter des fiançailles à Jean-Christophe (qui comprend tout et part s'engager dans l'armée, la haine au coeur contre Younès), et enfin se marier avec Simon, dont elle a un enfant. Elle assure Younès qu'elle est prête à rompre les fiançailles pour lui, mais ce dernier refuse. Et c'est là que le roman manque quelque chose, je pense. Car Younès ne refuse pas parce qu'il aurait intériorisé qu'une histoire d'amour entre une fille de colon et un Algérien est impossible, mais simplement car la fille a tourné la tête de tous ses amis et qu'il ne veut pas les perdre.
Tout le monde part de son côté, l'amitié est morte, et la guerre arrive, mais la seule chose que l'on en verra, c'est la fois où des blessés du FLN séquestrent Younès et sa tante. Prenant conscience de leur combat, Younès, moitié par conviction, moitié par coeur, leur fournit des caisses de médicaments. ça sent le sapin pour les colons. A l'indépendance, Younès devient proche de Djelloul, un ancien fellaga pauvre cadre du FLN, et obtient la libération de Jean-Christophe, OAS enragé.
La dernière partie, Aix-en-provence, est une série de flash-backs imbriqués. Le vieux Younès revient à Aix se recueillir sur la tombe d'Emilie, qu'il avait essayé de regagner en 1964. Il trouve une lettre d'adieu assez générique, qui semble beaucoup l'émouvoir quand même. Revois des anciens, y compris le harki Krimo qui l'avait démoli. Et tombe même sur Jean-Christophe, venu in extremis.à l'aéroport. Fin.
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Après ce long résumé, je vais faire court : le français de Khadra n'est pas particulièrement littéraire, il a peu de saveur, même pour décrire l'Algérie. Au niveau de la forme, ça sent le roman d'aéroport. Mais le pire, c'est la romance autour d'Emilie, tellement cliché qu'on dirait une de mes histoires d'amour. Plus intéressant serait le rapport du héros au contexte historique, avec ce refus de s'engager, pris entre le marteau et l'enclume, mais le héros-narrateur manque singulièrement d'épaisseur, et hélas le contexte historique, plutôt bien campé au départ (même si le parler de l'époque n'est pas rendu correctement), laisse trop vite la place à une histoire d'amour torturée qui ne m'a guère touchée. J'ai vraiment survolé les pages sentimentales, assez génériques.
Ce livre a la saveur d'un téléfilm français, ce qui dans ma bouche n'est pas un compliment.