Comme Cent ans, du même auteur (fantastique bouquin, à lire !), c’est une histoire de femme, au singulier cette fois. Histoire d’une femme, dont on a la tentation, à cause du style froid et de l’opinion de personnages à l’esprit étriqué, de confondre la force de caractère avec de l’insensibilité. D’autant qu’avec une histoire se passant en Norvège, il y a presque risque de choper des engelures rien qu’en tenant le livre. L’avantage de suivre cette femme sur le temps long, c’est son cheminement, que ce soit comme femme, comme écrivain, comme mère aussi.


« Tu pourrais témoigner un peu plus d’amour, affirme-t-il en plongeant en elle de grands yeux fixes. Sans paupières, juste des boules rondes menaçantes. Des globes.
Amour, c’est un très grand mot, murmure-t-elle comme pour s’excuser.
Mais c’est ce que tu devrais ressentir. Naturellement pas comme si tu y pensais tout le temps, mais assez souvent pour avoir mauvaise conscience à cause de ce que tu ne ressens pas, tempête-t-il. »


C’est cette volonté de vivre pour elle-même qui crée, page après page, des conflits avec… à peu près tout le monde. Avec les femmes qui ne comprennent pas, mais surtout avec les hommes. Peu, d’ailleurs, s’en sortent avec les honneurs. A désespérer de la gente masculine, des relations de couple et des mentalités moyenâgeuses.


« Tu fais preuve d’une singulière capacité à tomber sur des hommes minables, remarque l’auteur.
Et que dois-je y faire ? demande-t-elle en s’efforçant de camoufler que l’incident occulte encore ses pensées.
Il faut les ignorer. Ils ne sont pas à toi. Ne les laisse pas avoir l’occasion de croire d’un organe sexuel et des mains suffisent.
Dois-je soupçonner tous les hommes ? M’abstenir de leur parler ?
Non, mais il faut leur montrer qui tu es dès le premier instant, affirme Simone. »


Il me faut toujours un peu de temps pour me faire à ces styles dépouillés, durs qui semblent vouloir mettre un mur (transparent sinon c’est pas pratique) entre le lecteur et le personnage, qui refusent de coller un prénom qui conduirait plus facilement à de l’attachement. Pour donner au personnage un côté plus universel ? J’entends aussi parler d’autobiographie romancée, mais je ne suis pas un intime d’Herbjorg, je me garderai de toute (brève) analyse (de comptoir).

Les chapitres sont très courts, comme les phrases, déroutant au premier abord mais sans doute nécessaire alors que tant de chose se passent dans la vie et la tête de cette femme. Herbjorg Wassmo évite l’écueil du tout factuel et s’attarde sur les réflexions de la femme sur son rapport a son mari, sa famille et surtout à son propre épanouissement personnel. A la fin de la lecture, le livre ne pourrait mieux porter son nom.


« -Tiens-toi à l’écart de ma chaise ! Ils rigolaient ! Tu n’as pas vu ?
À cet instant, elle voit qu’il est figé dans ses petites routines masculines rassurantes, sans saisir que le monde saigne. Et d’un seul coup, elle grandit à ses propres yeux pour prendre des dimensions qu’il ne saurait contenir. »


Un style subtil, poétique même, et toujours juste. Des phrases magnifiques, au point que la concision du style n’est plus dur ou froid, juste une nouvelle couleur a la palette d’artiste d’Herbjorg Wassmo. Il y a ainsi des passages qu’on relit plusieurs fois, juste pour le plaisir. On part même assez loin lorsque le personnage s’abandonne dans ses rêveries et devise avec son imagination (et notamment la figure rassurante de Simone de Beauvoir). La lutte avec autrui ne suffit pas, il faut aussi (surtout ?) qu’elle lutte avec elle-même.

Mais contrairement à ce que j’espérais de la part de cette auteur, il y a aussi eu des moments où mon attention se relâchait, à cause de longueurs où parce que le contenu m’intéresse moins, ces moments, souvent redondants, étant plus nombreux sur la troisième – et dernière – partie du livre. Cette fin en demi-teinte m’a laissé déçu et empêché de livrer une critique dithyrambique sur ce que j’aurais souhaité être le dernier chef-d’œuvre de l’auteur.


Et pour ne pas finir, moi aussi, en demi-teinte, je tiens quand même à précise que Ces instants-là reste un livre puissant à découvrir et qui, par la neutralité froide de la forme et les luttes passionnelles du fond, a vraiment la capacité de parler à chacun.
Am3ni
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le 11 nov. 2014

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Am3ni

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