Simenon n'en finit pas de me surprendre avec ses "romans durs". "Ceux de la soif" fait partie des 117 romans que Simenon écrivit entre 1931 et 1972, laissant de coté l'embarrassant Maigret, et beaucoup d'entre eux sont de petites pépites. Celui-ci est tiré d'un fait divers survenu dans les années 30 et qui troubla la sérénité millénaire des Galapagos, appelées aussi "iles enchantées". Sur Floréana, l'une des iles, vivent un vieux professeur/philosophe allemand et sa jeune disciple. Ils se sont coupés volontairement de la civilisation, vivent nus, cultivent leur potager. Lui écrit, médite, dans une orgueilleuse retraite, loin des contingences modernes et des pulsions sexuelles qui asservissent. L’expérience singulière de ce couple bizarre est vite relayée par la presse occidentale, ce qui va motiver une autre famille pour aller vivre une existence similaire sur la même île. Les Herrmann veulent fuir l’Allemagne et ses graves problèmes politiques de l’époque. Ils pensent aussi pouvoir ainsi guérir le problème de santé dont souffre leur fils Fred, tuberculeux et arriéré mental. Les relations entre les différents protagonistes sont distantes, vécues dans une relative neutralité. Surgit dans ce biotope, un trio de personnage, une baronne plus qu'excentrique, flanquée de ses deux amants. La baronne, qui ira même jusqu’à s’autoproclamer « Impératrice de Floreana », avait le projet fantaisiste de fonder à Floreana un hôtel de luxe pour accueillir les riches touristes américains de passage. La goélette qui fait la navette tout les six mois laisse tout les protagonistes sur la scène de la petite ile tandis qu'une terrible saison sèche s'installe et que l'eau va se faire de plus en plus rare. Le sujet est inédit, les enjeux futiles et terribles en même temps, conduisent ce livre vers les sentiers scabreux d'un drame latent. La nature, omniprésente, agit et se représente au diapason des engagements, des résistances farouches ou des nerfs qui se rompent. L’échec conscient du professeur Müller est une expérience positive en ce qu’elle prouve l’utopie des « îles enchantées » où « la nature se défend elle-même contre l’orgueil des hommes ». Loin des sentiers battus, un livre à redécouvrir.