Le livre de Robert Stone "Dog Soldiers", traduit en français sous le titre "Les Guerriers de l'enfer" a été écrit et publié, une année avant la fin de l'une guerres les plus iniques et sanglantes de la fin d'un siècle qui n'en a point été avare. Autant souligner que ce livre transpirait "in vivo", les angoisses, les trouilles et les pertes de contrôle d'une époque charnière. L'un des sous textes d'un récit tendu comme une corde prête à rompre était le ressenti d'une énorme gueule de bois. La gueule de bois d'un power flowers ayant viré au cauchemard des drogues dures et de la déréliction avant toute chose. L'esprit libertaire ne subsiste plus que dans des zones du désert qui semblent oubliées, théatres jadis grandioses de grands rassemblements hallucinés aux sons de musiques répercutées à travers la montagne par des séries de hauts parleurs. Un vent de défaite semble avoir soufflé, balayé les "acteurs" d'autrefois. La fête est finie. Un personnage emblématique du livre, Dieter, sorte de gourou sur le retour , régnant seul sur les lieux et malheureusement occulté dans le film, symbolise à lui seul la fin du rêve et la plongée dans la folie psalmodiante. Les étés de l'amour ont sombrés, entrainants avec eux nombre d'individus perdus, place à la triste réalité de la défaite, des traffics juteux en tout genres, des sinistres individus qui surnagent sur les chaos de la nouvelle donne. Le personnage de Marge Converse parait à l'acmé de cette déroute, addicte à diverses substances sous des dehors socialement stables, en proie des crises de manque, savourant ses "évasions" d'un réel contaminé. Le personnage de Ray Hicks (Nick Nolte), le seul ayant possiblement la stature de faire face, parait néammoins abîmé par la prise de conscience d'un pays qu'il retrouve foncièrement changé, comme si les mauvais génies du Vietnam avaient gagné la moelle de l'Amérique, l'avaient cancérisée. Les lieux qu'il avait l'habitude de fréquenter autrefois, tournés en déshérence d'ou flotte un parfum de mort. Survivre sera compliqué...
Ce film, assez fidèle au livre mais occultant des passages essentiels et surtout un personnage pivot, arrive en 1978 sur les écrans. Il y manque, de mon point de vue, de ces strates évanescentes et poisseuses, de ces dialogues prononcés comme sous acide qui en faisaient un livre totalement desesperé. Avec ces années 70 finissantes, se referment les pages d'une époque aux effluves entêtantes. J'ai ressentis ce "Who'll Stop the Rain", titre tiré de l'un des morceaux emblématiques des Creedence clearwater, comme jetant déjà un regard posthume à ces années de pure folie, presque dans une idée de chasser les derniers fantômes persistants, de planter les derniers clous dans le cercueil. Ah vite, en finir et clopiner vers le futur, les années 80, le fric et le cynisme.