Premier coup de cœur de l'année avec la récente sortie en poche chez Rivages du recueil "Chants du cauchemar et de la nuit" de Thomas Ligotti. Bénéficiant outre-atlantique d'une réputation élogieuse, l'auteur américain était peu publié en France jusqu'au projet éditorial de la traductrice Anne-Sylvie Homassel qui compile et préface un florilège de ses nouvelles pour les éditions Dystopia en 2014.


On peut regretter la banalité du titre de ce recueil qui ne rend pas grâce à la singularité d'une œuvre exigeante, hétérogène et franchement nihiliste représentée ici par onze nouvelles rédigées en 1982 et 1994. Autant de spécimens de la littérature fantastique contemporaine qui évoluent entre horreur cosmique, american gothic et surréalisme.


Des textes variés dont les thèmes récurrents témoignent d'une obsession pour la fraude de la réalité, la terreur tapie derrière le voile de l'illusion ou la vacuité de l'existence. Les nouvelles de Ligotti sont courtes, ciselées, parfois difficiles d'accès et ne s'encombrent que rarement d'une intrigue élaborée. Le canevas initial constitue la plupart du temps un prétexte pour déployer décors chimériques, atmosphères poisseuses et effritement inéluctable de la raison. Les protagonistes n'existent que pour plonger dans les ténèbres et s'abîmer dans l'odieuse vérité dissimulée derrière un réel tombant en ruines.

Noir, c'est noir - parfois étouffant, souvent déstabilisant. A l'instar d'un certain reclus de Providence, la chute des récits coïncide avec l'apparition de l'indicible, un procédé éprouvé projetant l'imagination du lecteur dans les contrées du malaise et l'intranquillité.

D'aucuns pourraient trouver le style de l'auteur précieux, ici et là ampoulé, toutefois ces extravagances sont toujours placées au service du récit, notamment dans des descriptions fiévreuses des entrailles de cités, de venelles, d'édifices et de psychés qui bien souvent se regardent en miroir.


Un recueil composite et changeant qui procurera une satisfaction inégale d'une nouvelle à une autre en fonction des appétences du lecteur ; Thomas Ligotti n'en demeure pas moins un auteur à découvrir sans faute pour tous les amateurs d'horreur psychologique et d'obscurs raffinements.


En ce lieu et à cette heure, Keirion put identifier distinctement cette paradoxale absence, cette qualité manquante : c'était l'élément d'irréalité ou plutôt d'une réalité si saturée de sa propre présence qu'elle était, d'un bond, passée dans l'iréel.
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le 10 janv. 2025

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