Charbon bleu
Charbon bleu

livre de Anne Loyer (2023)

Incontournable Roman Octobre 2023



Version courte:



Pour cette collaboration entre une autrice et un illustrateur de France avec une maison d'édition québécoise, le roman "Charbon bleu" propose une oeuvre qui n'est pas sans rappeler le classique "Germinal", d'Émile Zola. C'est une courte histoire située en pleine France industrielle, où il n'est pas permit de rêver trop fort quand on nait au bas de l'échelle sociale. Et le nombre de gens au bas de l'échelle est astronomique, comparativement aux nantis qui les exploitent éhontément. Dans ce paysage assombrit autant par la désillusion que le charbon, il y a une jeune fille scolarisée et un jeune homme malade qui échappent à leur condition par leur poésie. Une rencontre brève avec ce duo, à la croisée de l'aigreur cynique et de la douceur onirique, dont on ne sort pas indemne.



Version exhaustive:



Ermine voit s'écrouler le projet de sa scolarité le jour funeste où son père est ramené sous un drap immaculé de son lieu de travail. du jour au lendemain, la jeune fille promise à la diplomation doit prendre le chemin de la mine dévoreuse d'ouvriers, se mettre au diapason sans délais, sous le ton agressif d'un frère jaloux d'elle, les remarques acerbes de son partenaires hercheuse et en dépit d'un petit gabarit nullement habitué aux tâches physiques. Avec un salaire de perdu, une maman enceinte jusqu'aux yeux et une petite soeur encore trop jeune pour le travail, il n'y a pas de place pour le deuil et pour les regrets. Il n'y a plus de place pour les rêves. Pourtant, quelque part dans les entrailles charbonneuses où s'asphyxient lentement des centaines d'ouvriers et ouvrières, il y a un jeune homme de 15 printemps, au tempérament doux et à l'esprit rêveur, qui a un don avec les chevaux. de leur rencontre se forme un premier amour truffé de petits partages de mots, de "voyages" et de promenades. Un amour éphémère, puisque la santé de Firmin décline.



La poésie de la nature côtoie une réalité ouvrière crue. La douce affection platonique d'Ermine et Firmin tranche avec la jalousie agressive de Guy, grand frère d'Ermine. La nécessité précaire côtoie les espoirs et les rêves. Un roman en clair-obscure, ou dans ce cas-ci, en noir et bleu.



Dans un premier temps, je constate le premier des drames, la perte du papa. À une époque où les hommes occupaient les rôles de meneurs à eux-seuls, puisque les femmes sont la propriété du père puis de l'époux, perdre le père devait être aussi crève coeur par affection pour lui que par inquiétude pour la survie. S'ajoute à cela le fait que les hommes adultes étaient les mieux payés, suivis des jeunes hommes, puis des jeunes femmes, puis des enfants. Ermine perd donc dans les deux sens. Elle perd un papa aimant qui a voulu miser sur son intelligence afin qu'elle occupe un statut plus enviable, de part un diplôme d'études. Elle perd, sans le savoir, celui qui faisait reposer sur l'aîné, Guy, le poids financier de la famille et la charge familiale à sa suite.



C'est bien la première fois que je vois un cas de figure où un aîné jalouse sa cadette pour une question d'études, dans un contexte industrialisé. Mais cet état permet de voir que la charge d'être un garçon existe, surtout quand on est un premier né. Rien ne justifie de devenir un salaud jaloux, bien sur, mais Guy est le navrant exemple de l'enfant qui n'a pas eu les mêmes chances. Il n'est pas parvenu a créer ses propres projets et ses propres aspirations, ce qui peut expliquer qu'il est donc plus facile de mettre le poids de son amertume sur Ermine.



Cette dernière doit faire un changement de vie radical. Plus d'études, plus de confort, plus le droit de se plaindre ( même si elle n'est pas de nature plaignarde). Ce qui perce le coeur est sa façon de chercher l'approbation de son frère, devenu le nouveau chef de famille. Firmin est d'ailleurs choqué de la voir tenter à tout prix de plaire à son frère si ouvertement hostile à son endroit. Comme quoi les relations malsaine existent aussi au sein des fratries. Un frère qui prend un malin plaisir à rabaisser Firmin et empêcher sa soeur de le fréquenter. Un jeune homme si concentré sur son propre malheur qu'il en oublie même sa fiancée. Néanmoins, Guy est aussi victime de ce qu'on appelle "le sentiment d'infériorité". Il ne se sent pas à la hauteur des attentes paternelles, même si ce dernier est décédé.



Firmin, pour sa part, est un beau personnage. Rêveur, habile verbalisateur, tendre et doté d'une certaine patience , surtout envers les chevaux, il contraste avec Guy, tout en rudesse et en comportements externalisés. C'est un personnage qui internalise plus, centré sur les beautés du monde, douloureusement conscient de sa fragile constitution, mais également férocement déterminé à vivre pleinement. Vaillant et empathique, il a aussi une belle humilité. Ce personnage est le seul à reconnaitre la valeur des études faites par Ermine et loin d'être paternaliste, est plutôt de type complice. Firmin est aussi, hélas, mourant. Ses poumons sont encrassés de charbon.



Firmin est surnommé "Firmament" par Ermine. Son apparition lui procure une force d'évasion et un appui social qui lui permette de mieux affronter le quotidien. À leur façon, ils se cré une bulle dans laquelle ils vont évoluer leur vision du monde, leur amour de la poésie et leur sensibilité commune. On illustre assez bien dans ce roman comment la puissance créative et la faculté d'imaginer sont des armes contre le défaitisme, le désespoir et le cynisme, mais tout le monde n'en sont pas dotés. C'est aussi un navrant exemple de la perte du potentiel artistique et littéraire dans la classe ouvrière: Imaginez ces deux là avec de bonnes études! Mais c'est là une réalité encore actuelle que celle des chances inégales dans la vie, de part sa naissance, sa situation géographique et même son genre.



Enfin, nous voyons aussi clairement l'aspect "dangerosité" des conditions de travail, avant que les mouvements syndicalistes embrasent les pays industrialisés. le rendement est la clé du salaire et l'argument pour augmenté les charges de travail. Néanmoins, sur la répartition des heures, il fallait considérer la sécurisation des corridors sous-terrains des mines, mais entre faire avancer la veine et ajouter des supports en bois, la première option prévalait souvent. Les éboulements n'étaient qu'un des problèmes. S'ajoutent bien sur les émanations toxiques, les risques de suffocation, les risques de blessures et surtout, les "coups de grisou", ces explosions dans les veines de charbon.



Le tout est apporté avec beaucoup de poésie dans la plume, des illustrations en noir et blanc servies par monsieur Gérard DuBois. J'aime beaucoup la couverture, avec Ermine, ses grands yeux tristes et ses jeunes 13 ans bien visibles.



Attention, divulgâche.



Pour celles et ceux qui se le demande, nous ne sommes pas en présence d'une fin heureuse. Si nous nous en doutions concernant Firmin, en raison de sa santé boiteuse de plus en plus déclinante, on se doute moins qu'Ermine, désormais à la place de Firmin, soit celle qui attèle les chevaux, se trouvait au fond de la fosse quand un coup de grisou a balayé la mine.



C'est un donc une lecture douce-amère, qui suscite de l'indignation et du dépit, surtout quand on sait que le genre de mode de vie affreusement pauvre et asservi par des compagnies fortunées existe encore aujourd'hui.

C'est, à l'instar de la plupart des autres romans de la collection de la maison D'Eux, un outil d'éveil de conscience, avec un format accessible et un sujet pertinent.



Pour un lectorat adolescent, 12-15 ans+

Créée

le 31 oct. 2023

Critique lue 8 fois

Shaynning

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