Dans tous les sens
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J’ignore comment l’éditrice a choisi les dessins figurant ici, et le titre est peut-être un peu exagéré : il n’y a pas que des chefs-d’œuvre dans Chefs-d’œuvre. Mais il n’y a pas de dessins ratés. Une mauvaise langue ajouterait que les dessins moyens de Roland Topor demeurent meilleurs qu’un best of Jacques Faizant.
L’ensemble est structuré par rubriques d’une vingtaine de pages chacune (« Prolégomènes », « Effroi », « Foules », « Stratagèmes », etc.), sachant que l’unité thématique et stylistique des dessins de Topor amène forcément à relativiser le classement de telle ou telle œuvre dans telle ou telle catégorie. Cela permet au moins d’alléger la lecture de ces quelque deux cents pages, et de mettre en valeur les échos qui résonnent d’une planche à l’autre. Du reste, l’inattendue rubrique « Dessins politiques (1968-1975) » a le mérite de présenter un visage méconnu de Topor ; et le moins qu’on puisse dire est que la politique n’échappe pas à la noirceur féroce de celui qu’on associe plus volontiers aux corps dysfonctionnels et douloureux qu’à une caricature de Pompidou en empereur romain.
Car c’est à bon droit que Julie Bouvard insiste, dans la préface, sur le fait que les dessins de Topor « expriment “un mal inconnu des bulletins d’information, enfoui au plus profond”, pour reprendre la belle formulation du dessinateur Gérard Poussin. Ils véhiculent une vision – singulière, insolite, dérangeante, fascinante. Et surtout – persistante » (p. 6). Cette préface, pour le coup, ne se contente pas des louanges d’usage et des considérations convenues sur le traumatisme de l’enfermement chez Topor ou sur Topor le touche-à-tout.
Il me semble qu’on est en plein dans le vrai quand on dit que « Topor dessine comme l’enfant dessine – sans la moindre censure, ni stylistique, ni thématique. Comme l’enfant, c’est-à-dire non pas “sans réfléchir”, mais au contraire en y réfléchissant intensément, en étant complètement dans son dessin » (p. 7) – et pourtant je n’ai jamais lu cela ailleurs.
Pourtant, il me semble aussi que les dessins de Topor, bon gré mal gré, appellent toute une tradition de bouffonnerie noire : penser aux gravures de Goya, ou à celles inspirées par Bruegel ou Bosch – voir l’infirmier en camisole de force de la page 138, à lunettes et à bec d’oiseau, qui picore des cerveaux dans des boîtes crâniennes ouvertes. Sans le formuler expressément, Chefs-d’œuvre I met cet aspect en lumière.
Bien sûr, on peut aussi tout simplement feuilleter l’ouvrage, et apprécier l’éléphant pendu de la page 21, ou ailleurs (p. 87) ce dessin peut-être plus facile à imaginer qu’à décrire : un sombre méli-mélo de silhouettes cauchemardesques, sur lequel se découpent deux trous pour les yeux. Celui de gauche laisse voir un paysage vide, celui de droite un miroir posé sur un chevalet reflétant une tête de mort. J’y vois un assez bon condensé de l’univers graphique de Topor.
Créée
le 29 nov. 2019
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