Voici un petit hybride entre le roman et le roman graphique, où un garçon devient "grand frère", malgré lui. Avec ses talents de dessinateur et son humour, il nous livre à travers ses lettres et ses dessins la lente évolution de sa relation avec ce bébé braillard qui dérange son quotidien. Clairement, ça ne fait plaisir à notre narrateur de ce rôle qui est désormais le sien et on le sent très bien dans ses commentaires et ses représentations peu flatteuses. Qui a dit que c'était simple d'accueillir un nouveau membre dans la famille? Cela dit, notre narrateur découvre que sa petite fille est attachée à ce grand frère qui lui fait la lecture ( du même album, encore et encore), qui va lui écrire des petits mots dans sa boîte à lunch et lui consacrer des tas de petits mots et dessins.


C'est donc une touchante histoire d'amour fraternel, qui suit une évolution lente, mais assez constante, en suivant le fil des années. Il y a quelque chose d'accessible dans le fait que le narrateur n'apprécie pas d'emblée l'arrivé de ce nouveau membre de fratrie. Il est déjà assez âgé, autours de 10 ans, quand elle arrive, ce qui bouscule beaucoup ses habitudes et ajoute des attentes de la part des parents. Ça l'agace beaucoup et on sent son sentiment d'injustice, aussi, quand il y a des différences de traitement entre "elle" et lui. Il ne veut surtout pas partager son univers avec elle, également, ce qu'on peut comprendre, car il le partage avec son meilleur ami, Joe.


Ce qui m'amène à un second grand thème dans ce petit ouvrage: le deuil amical. Entre autres évènements, le départ de Joe pour l'autre bout du pays est un réel coup dur pour notre narrateur. On peut le voir dans la durée de son état déconfit et solitaire, la charge émotive quand il en parle et le fait qu'il refuse de laisser sa petite soeur monter dans cet arbre que le narrateur et son ami partageait. Pour un enfant, perdre un ami proche, ça peut être réellement un drame. J'ai trouvé réellement touchant que la petite soeur l'ait comprit et tente, avec ses moyens de petite fille, de réconforter son grand frère. Pour moi, c'est la preuve irréfutable qu'elle l'aime beaucoup, son grand frère. Je pense qu'il le réalise à travers cette situation, d'ailleurs.


Je pense que ce qui marque dans cette histoire, c'est le fait que le narrateur ait écrit et dessiné énormément pour sa petite soeur, comme on peut le voir avec les piles qu'il lui a laissées avant son départ pour l'université. On comprend alors que sa petite soeur est devenue sa confidente, la personne qui lui permet de se livrer et de se confier à travers le papier. Elle a reçue certaines d'entre elles, mais au final, il y en a infiniment plus. C'est pour moi l'évidence de son affection pour elle, autrement, sans affection, il se serait simplement désintéressé. Au contraire, il se met même à lui donner plus de place dans ses projets, se met à avoir du soucis pour elle et éventuellement, ils apprennent la solidarité ( notamment face aux infâmes flageolets* ( Sorte de haricot blanc)).


L'humour est présent également, surtout avec ses commentaires pas toujours délicats qu'ont les membres de fratrie les uns pour les autres ( qui d'autre pour être aussi transparents dans nos cercles sociaux si ce n'est nos frères et soeurs?) et ses nombreuses hyperboles graphiques. Les intitulés sont vraiment drôles: Chère individu de sexe féminin, chère corésidente de cette maison, chère personne plus jeune, etc.


Graphiquement, c'est très vivant. Parfois, nous sommes sur les papiers de notre narrateur, soit des feuilles lignées de calepins, soit des morceaux de papier blanc. À intervalles, nous avons des scènes croqués par l'illustrateur, au style très BD. On alterne donc entre les dessins au plomb du narrateur et les illustrations plus réalistes à l'encre de l'illustrateur. La seule couleur présente est le bleu, comme sa couverture.


J'aime beaucoup que le texte ne dévoile pas forcément tout des illustrations, mais le complète, plutôt. On a donc des inférences à y faire et les illustrations peuvent devenir des surprises. Je donne par exemple les pages 135-136, où on voit la petite soeur en six exemplaires, un pour chaque jour, où elle attend, la mine triste, que son grand frère revienne, son précieux album dans les mains. Même pas besoin de texte pour deviner son ennui. D'ailleurs, à la fin, on découvre une lettre dans une boite postale avec la mention "Cher Grand Frère" dessus, sans doute la première lettre de la petite soeur à son grand frère. Quelle jolie fin! Y a pas de doutes que ce petite couple de frère et soeur auront une belle relation devant eux, avec ses hauts et ses bas sans doutes, mais avec de belles fondations et un réel attachement.


On a tendance, je trouve, à sur-glorifier les relations amoureuses ( surtout les coup de foudre irrationnels en plus), mais j'aime retrouver des oeuvres dans lesquelles l'amour fraternel et/ou sororal est célébré pour ce qu'elle est: Un amour profond et sincère, tout aussi estimable et souhaitable que l'amour conjugal. Grandir en fratrie demande de développer le compromis, la patience, la solidarité et la complicité, entre autres qualités. le lien de sang n'est pas nécessaire, d'ailleurs, c'est valable pour les fratries recomposées ou adoptives. Ce sont des relations long terme qui nous forgent beaucoup plus durablement et profondément que les amours conjugaux, bien souvent et contrairement aux relations conjugales, elles s'amorcent dans la période de développement de la prime enfance à la fin de l'adolescence. Autant dire qu'elles nous façonnent directement en plein développement. C'est dommage qu'on le valorise aussi peu dans la fiction ou du moins, traité avec moins d'importance que les amours conjugaux, au regard de leur importance dans notre développement et de notre vie sociale.


Par ailleurs, il est aussi bon de présenter des relations entre un frère et sa soeur qui se façonne pour devenir saine et solide. C'est certes pas facile tous les jours, de vivre en fratrie, mais on ne peut pas continuellement ne voir que des soeurs chipies et des frères morons, quand même! Un duo frère-soeur, ça existe!


Par rapport au livre que lit le narrateur avec le renard à monocle dessus, il faudra du temps au grand frère pour comprendre l'élément derrière les nombreuses demandes de lecture de sa petite soeur: Ce n'est pas tant le livre en soi qui est important, mais bien le moment de qualité et de proximité entre eux-deux. En librairie jeunesse, c'est souvent à cela qu'on en revient avec les adultes: Les enfants aiment se faire lire des histoires, certes, mais c'est surtout le moment partagé avec des proches qu'ils estiment aussi.


Bref! Y a pas de doutes que ce petit livre saura trouver ses Lecteurs et ses Lectrices, parce qu'il est aussi comique que pertinent, graphiquement intéressant et son hybridité saura être apprécié aussi des lecteurs moins férus de textes continus. Une jolie pépite d'amour fraternel, comme on en souhaite plus.


Un beau petit livre à mettre dans les mains des 8-9 ans et plus.

Shaynning

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