Même si les romans de Patrick Modiano restent constants dans la qualité, avec ce style et ces ingrédients immuables, pourtant on peut dire que l’on n’avait pas été emballé comme ça depuis quelques années avec un roman de l’auteur de La Place de l’Étoile et Rue des boutiques obscures.
Dans Chevreuse, Modiano propose une nouvelle variation sur ses thèmes favoris que sont l’enfance, les artistes de l’ancien temps, les personnages mystérieux, mais aussi les objets, les rues et les maisons fréquentées qui rejaillissent de la mémoire souvent par hasard.
Au centre de ce nouveau récit, on retrouve le personnage de Jean Bosmans – déjà croisé dans de précédents romans comme Ephéméride ou L’Horizon – que l’on suit sur trois niveaux de temporalité et qui se souvient avoir vécu durant plusieurs mois, quelques années après la guerre, lorsqu’il avait 5 ans, dans une maison en compagnie d’une femme, Rose Marie Krawell à qui ses parents l’avaient confié. Une demeure dans laquelle entraient et sortaient d’étranges personnage dont il garde des souvenirs flous…
Qui était ses étranges visiteurs ? Faisaient-t-il du trafic ?
Bosmans va faire appel à ses souvenirs grâce à une carte d’état major de la vallée de Chevreuse. Il va se replonger dans les années 60, quand il était un jeune homme de 20 ans, et qu’il revint, en compagnie de son ami Camille dit “Tête de mort” et de Martine Hayward, dans cette maison où il vécu, et que fréquente encore,15 ans plus tard, les mêmes personnages étranges “qui ne sont pas des gens bien” qui se rencontrent la nuit dans un appartement d’Auteuil que Jean fréquente également.
Des souvenirs qui s’imbriquent les uns dans les autres à travers un récit d’une densité remarquable faisant croiser et s’entrecroiser les souvenirs, ces hommes se nommant Michel de Gama, Guy Vincent, Pierre-Marco Heriford… circulant entre la Vallée de Chevreuse et le quartier d’Auteuil. Un roman qui, comme souvent chez le Prix Nobel de Littérature 2014, ressemble au début à un puzzle auquel il manque la moitié des pièces et qui finit par se reconstituer page après page avec une science du récit, une finesse et une précision jubilatoire.
On referme le livre totalement envoûté par cet univers sans égal, nourri par la mémoire et les fantasmes de l’auteur, on reste totalement pris par cette ambiance de polar, par cette douceur dans l’écriture, mais aussi cette intranquillité qui caractérise si bien les livres de Modiano. On reste aussi admiratif devant autant de simplicité et de complexité, de rêve et de réalité entremêlés.
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