Si nous nous mêlions tous de ce qui ne nous regarde pas, le monde entier finirait par nous concerner
La seule autre critique de ce livre sur ce site étant plutôt négative, je me sens obligé de venir la contrebalancer, bien que je sois d'accord avec cette autre critique sur certains points (le côté contre productif des passages sur la ghilde essentiellement).
L'auteur de cet ouvrage, Ayerdhal, livre, dès sa dédicace à Marco Delanghe, (inconnu au bataillon) ce qui m'a paru être la clé de lecture de cette œuvre :
« A Marco Delanghe,
Samouraï sans maître et sans gages
qui parcourt le monde
à la recherche d'une province où il n'y aurait
ni suzerain ni seigneur ni vassal ni serf,
un coin de Terre, en somme,
qui aurait échappé à la féodalisation
dont nos très illusoires démocraties
sont les plus fervents promoteurs,
sous la coupe réglée
d'une oligarchie de vieillards jaloux
et de concupiscents jeunes loups.
Ce havre, mon ami,
je crains qu'il ne nous faille le construire
d'urgence et partout. »
A l'opposé de ce qu'aurait été une construction littéraire classique, il n'y a pas à proprement parler de situation initiale : l'élément déclencheur du récit est la mort de Karel, frère de Vini, mort qui a lieu avant même le début du récit et qui a pour conséquence directe d'entraîner l'arrivée de Parleur à Macil. Finalement, l'élément perturbateur est partout et permanent : la situation que subissent les personnages, et dont l'auteur semble suggérer que nous la subissons aussi, est intériorisée par ses acteurs, pourtant elle n'a rien d'acceptable. Cette situation, tristement banale, pourrait se résumer en l'exploitation d'hommes par d'autres hommes. (dit comme ça, ça fait un peu communiste – j'y reviendrai)
Les personnages mis en scène par Ayerdhal sont au départ simplistes mais deviennent rapidement attachants : on a droit à Bandeo, un marchand aisé et bon vivant, à un aubergiste rustre mais qui a bon fond, à un bandit au grand cœur etc. Pour autant, ils se transforment peu à peu au contact de Parleur qui agit suivant la pensée de Karel. Cette transformation touche au premier chef la sœur de Karel, Vini, qui se révèle, contre toute attente, être le véritable personnage central du récit : elle en est le narrateur et est surtout la personne qui symbolise l'éveil de la Colline ainsi que celle qui assure la continuité de ce rêve.
On se trouve également confronté à une vision qui n'est pas sans rappeler le communisme sur certains points, notamment dans ce qu'il peut avoir de révolutionnaire et dans son ambition d'universalité. D'une manière qui n'est peut-être pas anecdotique, la couverture elle-même est rouge et présente un personnage stylisé au point levé (après vérification – encore merci Ô Google – toutes les éditions n'ont pas cette couverture, loin de là). D'autre part, la tentative autarcique de la Colline n'est pas sans rappeler la commune de Paris.
Pour autant, cet aspect idéologique ne me semble pas être le plus important, bien qu'il ait été la cause d'un certain rejet (soit dit en passant, c'est le type même de livre que 50% des gens vont adorer, tandis que d'autres vont cordialement le détester)
Il s'agit d'un petit ouvrage très très bien écrit (309 pages), entrecoupé de courtes citations de Karel. Parleur ou les chroniques d'un rêve enclavé est un livre qui se lit avec un grand plaisir, porté par une tension dramatique allant crescendo, mais qui pose également un grand nombre de questions, parfois contradictoires, sans forcément y donner de réponses. C'est un livre déroutant qui donne matière à réfléchir. Toutefois, son ton parfois sentencieux est susceptible d'énerver certains.
Son message principal s'apparente à celui de l'opuscule de Stéphane Hessel, Indignez-vous, l'essentiel est de s'indigner, de ne pas supporter ce qui devrait être intolérable au nom d'une banalité née de l'habitude.
« Je crois que si nous nous mêlions tous de ce qui ne nous regarde pas, le monde entier finirait par nous concerner » Parleur
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