Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
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le 23 oct. 2022
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Incontournable Septembre 2024
Le tome 2 des mésaventures horrifiantes des ados de Molochville vient de débarquer pile à temps pour Halloween. Il n'est pas nécessaire d'avoir lu le tome 1, car si ces récits se déroulent dans la même ville, ils ne sont pas reliés directement aux évènements se déroulant dans le premier tome.
Dans ce recueil rédigé par quatre auteurs.ices québécois.se adeptes du genre Épouvante, les quatre récits ont une trame temporelle qui converge toujours vers une journée en particulier, celle des activités spéciales se soldant sur une panne électrique généralisée en raison d'un fort orage. Cette journée coïncide en outre sur la levé d'un couvre-feu, l'une des mesures mises en place par la mairesse afin de rassurer et potentiellement limiter les évènements macabres qui se sont déroulé il y a six mois ( soit ceux contenu dans le tome 1). Mais pour quatre nouveaux petits groupes d'ados, ce sera la nuit de trop, et si certains ne sortiront pas vivants, personne ne sortira indemne.
"Revello", par Sandra Dussault
Amina a échappé au pire en décidant de ne pas aller dans cette maison où les cadavres se sont accumulés sous la folie d'un meurtrier caché ( Tome 1). Depuis, elle tente au mieux de poursuivre sa vie, devenue morne en raison des nombreuses restrictions mises en place par la municipalité. En ce jour d'activités spéciales, sa meilleure amie a eu l'idée de distribuer des crèmes glacées et confiseries glacées, elle a donc loué un camion pour l'occasion. Néanmoins, un peu avant d'ouvrir le stand sur roues, Amina a eu une étrange impulsion. Serait-ce du à ces bonbons abandonnés sur le siège des gars auxquelles elle et son amie ont prit leur places, lors du match du hockey sur gazon? Toujours est-il qu'elle a vu un étrange monsieur beaucoup trop baraqué pour un crémier, ondulant comme une image, dans le camion à crèmes glacées. S'en suit un désir quasi irrépressible de manger un Revello, ces barres glacée à la vanille nappée dans du chocolat sur un bâton de bois.
Un. Puis trois. Puis six. Puis dix. Le tout sous une petite musique de clochette typique des chariots à crèmes glacées et un rire malveillant. Amina a causé une certaine commotion dans l'école quand elle a vomit toute cette glace par après, mais cette faim qui la reprend durant cette nuit orageuse n'est pas de celles qu'on parvient à ignorer...
"Scotophobie", par Patrick Isabelle
Noah est ce genre de gars qu'on croise dans pratiquement un roman sentimental sur deux: Une gueule d'ange à la machoire carrée, une voix grave, une tignasse noir corbeau, des yeux bleus dans lesquels nombre de filles aiment s'y noyer et aussi musclé que riche et populaire. ( Sérieux, auteurs, épargnez moi et mon écoeurantite de ce genre d'archétype masculin, de grâce, je viens de finir le récit juste avant rempli de vomit!). Bref, un clone du cliché ténébreux, qui a au moins le bon goût d'être gentil et d'avoir une phobie. Parce que oui, monsieur Toutes-les-filles-se-pâment-sur-moi a une peur phobique du noir. Ç'aurait pu être mignon. Ce ne l'est pas. C'est bien plus grave qu'une peur de l'obscurité. C'est le symptôme de quelque chose de bien plus vicieux et mal connu, et qui , d'ailleurs, n'est pas étranger à l'une de nos peurs collective depuis des lunes. Des indices: Ça ne se voit pas, ça implique la psyché. Zoé, l’archétype de la fille ordinaire de classe moyenne qui a eu le béguin pour son si parfait collègue de chimie, ne sait pas encore que son idylle avec le beau Noah aurait été un parfait cliché de romance ado n'eut été de cette nuance dans la phobie de Noah. Mais ne vous en faite pas, elle va s'en rendre compte bien assez tôt. Après tout...qu'on ne s'étonne pas de voir un jeune homme phobique du noir déraper quand une panne d’électricité prive Molochville de la moindre source de lumière.
"Tu ne tueras point", par Jocelyn Boisvert
"un enfant ne nait pas méchant, il le devient". Parfois, cependant, un enfant peu naitre avec une incapacité à ressentir l'empathie et développer un trait de cruauté. C'est ce qui semble définir la mère de Carl et Charlie, 17 et 14 ans respectivement. Un duo fraternel soudé comme les doigts de la mains, mais hélas impuissants face à la femme qui leur a donné la vie. Aussi vicieuse dans ses mots que dans ses gestes, elle semble prendre plaisir à tourmenter ses propres enfants, car, ne leur a-t-elle pas donné la vie à ces deux imbéciles de ratés? En ce jour d'anniversaire de Charlie et cette nuit de panne, frère et sœur affronte encore une fois la méchanceté sans limites de leur génitrice, mais rien ne semble venir à bout d'elle. Pas même quand il et elle prennent les grands moyens.
"Exhumare", par Véronique Drouin
Le père de Claire, qui a un actif de dépression et un sens des responsabilités boiteux, vient d'acheter une propriété à Molochville, d'entre toutes les villes. Une maison qui a des allures de taudis et nécessiterait de gros travaux. Après quatre mois à tenter de s'intégrer dans cette ville, voilà maintenant que Claire habite un endroit rempli de problèmes. Un jour, alors qu'elle tente de rincer ses cheveux dans l'évier après un shampoing, un refoulement putride se manifeste, révélant des morceaux indéterminés et un miasme de substances pestilentielles. Parmi ces morceaux se trouve un petit œil. Dégoutée et horrifiée, Claire voit toutefois une réaction pour le moins atypique chez son père. Ce dernier semble...songeur? "Il est peut-être ici" déclare-t-il, sans plus de précisions. Dès lors, il excave la terre sous le béton du sous-sol, jour et nuit. Profondément inquiète de son comportement, incapable de le faire changer d'avis, elle tente alors de comprendre quel peut être l'historique de la maison. Et aussi la présence de ce petit garçon sur son vélo, qui revient à répétition devant leur maison, dont le physique ressemble étrangement à une photo laissée dans la maison, datant d'il y a seize ans. Que tente-donc de trouver son père sous leur maison?
Tout comme le premier tome, je me réjouit de la diversité des textes, certains plus surnaturels, d'autres plus réalistes, mais pas moins troublants. J'ai l'impression qu'il se dégage plus de psycho noire dans cette suite des aberrations macabres de Molochville. Dans le texte de monsieur Isabelle, on passe littéralement d'un registre doux et pastel à un registre sombre et violent et du peu de marge de manœuvre que l'esprit humain a pour traiter un si radical changement émotif et rationnel. Dans le texte de monsieur Boisvert, de loin le plus terrifiant selon ma lentille de traitement de lectrice, aborde ces visages hideux de l'humanité, qui ne connaissent littéralement pas l'amour, l'empathie et la moralité. Pire, on a un parent qui n'en est pas un. Cette femme a donné la vie, point barre, elle n'a aucune compétence parentale et ignore comment "aimer", ou peut-être est-ce là l'expression de sa vision des relations avec les autres. Elle me rappelle beaucoup certains personnages de Stephen King, un auteur qui lui aussi savait faire émerger l'horreur des humains plus "prédateurs" qu'humains. Certains humains semblent tout simplement incompatibles avec le reste de leurs semblables, mais paradoxalement, ils tirent une satisfaction malsaine a les dominer, les humilier et les détruire de toutes les façons possibles et imaginables. D'ailleurs, la citation d'ouverture de ce texte là spécifiquement est de Stephen King: "Et presque par hasard, comme une simple idée secondaire, Eddie découvrit l'une des grandes vérités de son enfance. Ce sont les adultes les véritables monstres." [ Stephen King, Ça ] Donc, bien au-delà des innombrables monstres inventés par l'homme, il y a la bête ultime: L'être humain déshumanisé, paria parmi les parias, qu'on ne sait pas toujours gérer. Et le pire survient quand ils donnent la vie à des enfants dont ils s'estiment propriétaires. Je pense que ce texte était d'autant plus dérangeant qu'il n'y a donc rien de surnaturel là-dedans. Le texte de monsieur Isabelle illustre donc que le genre épouvante n'a pas besoin d'être magique ou fantastique pour donner des frissons de malaise et nous faire affronter des réalités qu'on préférerais ne pas voir. D,ailleurs, non contente de martyriser ses propres enfants, Carmen a aussi maltraiter son conjoint et le chien de la famille, Daisy. Cette femme me rappelle la cruauté de la mère d'Aurore Gagnon, l'un des cas marquants d'enfants martyre du Québec et qui illustre que les femmes aussi peuvent être des batteuses d'enfants, parfois même des meurtrières d'enfants.
Je réalise à la lecture des quatre textes qu'hormis le premier récit, les autres n'impliquent pas de surnaturel, même si certains le laisse entendre. On joue sur les perceptions des personnages, sur l'atmosphère, sur les émotions aussi. Dans la série des Molochville, l'être humain est aussi son propre ennemi, tourmenté par un esprit en déséquilibre ou hanté par des souvenirs traumatiques persistants. L'horreur n'a pas besoin d'être toujours externe, il est même bien plus significatif quand il vient de nos propres vulnérabilités.
Bref! un autre bon recueil dont je me ferai une joie de promouvoir aux ados habitués du genre, car compte tenu du côté très graphique des scènes, en ce sens où il y a force de détails, je pense que ce sera adapté au lectorat du second cycle secondaire, les 15-17 ans, ou les 12-15 ans qui sont des adeptes du genre. Gardez en tête que contrairement au lectorat intermédiaire, les 8-12 ans, le genre Épouvante de la littérature ado peut se permettre de faire dans les fins glaçantes et la mort de ses personnages. Ou pire. Survivre à certaines choses est parfois pire que la mort ( je ne parle pas d'outrages sexuels en disant cela).
Ah, et pour ceux et celles qui se le demandent: Oui, les Revello, ça existe. Désolée pour les lecteurs qui ne risquent pas de voir ces friandises de la même manière désormais.
Pour un lectorat adolescent du second cycle secondaire, 15-17 ans+
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Créée
le 17 sept. 2024
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