Ce recueil de nouvelles regroupe plusieurs textes de l'auteur français Jacques Boireau, parus initialement dans diverses publications. Le corps principal de l'ouvrage est une réédition des textes de Chroniques sarrasines, un recueil publié pour la première fois en 1988. Les autres textes ont été glané dans d'autres publications anciennes (magasines surtout) et trois sont inédits.
Je précise de suite que je n'ai pas fini la lecture de ce recueil, l'ayant abandonné pour d'autres lectures aux deux tiers environ. Ce que j'y ai lu m'a plu dans l'ensemble, même si assez vite, quelques points m'ont agacé (on y reviendra).
Commençons par les textes éponymes, Chroniques sarrasines qui a mon goût sont les plus intéressants. L'auteur imagine une France où, au VIIe siècle, la conquête musulmane de la Septimanie a fait florès et où l'expansion s'est même poursuivie jusqu'à ce que la frontière avec le royaume de Francs s'établisse sur la Loire.
Sauf qu'ici, on n'est pas chez Houellebecq ou Zemmour (même si je suis bien convaincu que la lecture de ce texte ferait péter un câble à ce dernier), et le récit ne se veut pas alarmiste. Au contraire, la Septimanie est plutôt présentée comme un pays éclairé, tolérant, pacifique et humaniste, là où le royaume des Francs stagne dans un marasme technologique et social.
Oui, parce que le récit se situe à une époque indéterminée, mais qui ressemble à la révolution industrielle, avec un royaume de Francs ayant opté pour le charbon et la vapeur (y compris pour les véhicules individuels), là où la Septimanie est passée au tout électrique.
Et dans cette uchronie, l'obscurantisme est incarné par les Francs chrétiens, jaloux et envieux de la prospérité de leurs voisins, et les accusant de "voler leurs hommes" en les attirant chez eux pour les faire travailler (vous commencez à voir pourquoi Zemmour serait chafouin ?)
Là où le texte est très intéressant, c'est dans les problématiques abordées. Assez vite, on se retrouve confronté à des Septimaniens qui, après qu'une sorte de St Barthélémy anti-musulmans ait eu lieu à Paris, discutent entre eux de la façon dont ils doivent traiter les Francs venus s'installer chez eux.
Et comment ne pas penser à tout ce qui s'est passé en France depuis le 11 septembre 2001, mais surtout après les attentats de 2015 ? On y retrouve les questionnements qu'une bonne partie du pays a refusé d'aborder alors, avec les mêmes arguments claqués et racistes pour justifier la stigmatisation des "ennemis de l'intérieur", à base de "leur religion (ici le christianisme) n'est pas compatible avec notre mode de vie" ou encore "avec leurs prénoms Francs, ils prouvent qu'ils ne veulent pas s'intégrer"...
Rappelons à nouveau que ces textes datent de 1988. On pourrait se dire que Jacques Boireau aura eu tout le temps de retravailler son texte depuis, et peut-être l'a-t-il fait, auf que... sauf que là où ça devient dément, c'est que ce bon jacquot, il est mort en 2011, donc bien avant que ces débats nauséabonds n'aient lieu en France ! Je pense d'ailleurs qu'il aurait été effondré d'apprendre à quel point ses écrits étaient prophétiques... Donc il a peut-être réécrit ou réarrangé ses nouvelles après le 11 septembre, pourquoi pas, mais même comme ça, les discussions entre Septimaniens sont vertigineuses d'anticipation.
Bref, on l'aura compris, la partie septimanienne de ses écrits m'a convaincue. mais souvenez-vous ! J'avais émis quelques réserves aussi. Et bien parlons-en. Les autres nouvelles que j'ai pu lire ne se situent pas dans le cadre de son uchronie, mais dans un monde (le nôtre ? La France peut-être ? On ne saura jamais franchement) où l'auteur oppose constamment campagne / cité, avec un gros penchant affectif pour la campagne. Presque tous les textes insistent (parfois lourdement) sur la "grande méchante ville qui broie" et la nostalgie d'un monde campagnard idéalisé et perdu à jamais.
Si l'écriture ne manque pas de poésie et réussit à faire passer une certaine mélancolie, après plusieurs variations sur le même thème, je confesse m'être un peu lassé, parfois même un peu agacé devant ce portrait idyllique de la vie rurale. On sent un amour sincère de la nature, une vraie fibre écologiste de la part de l'auteur, mais c'est juste trop. J'ai parfois eu l'impression qu'il était à deux doigts de me faire l'apologie du labourage à la charrue et de la lessive au lavoir.
N'en reste pas moins que si j'ai lâché ce recueil (pour l'instant), j'ai tout de même l'intention de le finir. Encore une fois, la qualité d'écriture, le pouvoir d'évocation sont là. Il faut juste espacer les prises pour ne pas tomber dans la monotonie.