Sans le vif

Recueil de récits érotiques situé dans le "monde des contrées" de Jacques Abeille. Je trouve que si l'écriture de Jacques Abeille a toujours cette incomparable marbrure, le mélange des "Chroniques scandaleuses de Terrèbre" ne prend pas.

"Chroniques", il s'agit de narrateurs recueillant des témoignages, évoquant au passé des aventures sexuelles. Ce double rejet : en 3e personne et dans le passé induit une distance, qui, si elle est propice à déployer la reconfiguration du souvenir sous les formes d'une belle écriture proustienne, nous coupe du vif de la scène.

"Scandaleuses", ces chroniques ne le sont pas. Nous avons lu Sade, Restif, Bataille, Mandiargues, et bien d'autres choses dont l'immoralité va infiniment plus loin que ces adultères. Le fil conducteur érotique de ces nouvelles me semble être le "voyeurisme" et la triangulation du désir (big up à René qui, lui, trouverait peut-être ça scandaleux). Mais cela suffit-il à rendre la chose "scandaleuse" ? La complaisance des belles endormies de Kawabata est bien plus perverse et scandaleuse.

"Térrèbre" ? J'ai déjà écrit mon attachement à ce beau mot qui semble un écho fantastique à l'Eternèbre de Desnos / Man Ray, mais quoi ? Là cela sert de décor très très accessoire. A peine la dernière nouvelle fait elle signe vers un personnage secondaire intéressant du livre Les Barbares. Cela ne suffit pas je trouve. Au final, j'ai retrouvé bien plus de force dans les récits érotiques placés dans les Jardins statuaires ou dans Les Barbares : leur dimension (éclairs de nuit), leur fantastique (les cavalières), leur résonance dans l'histoire sont bien plus agréables.

Je crois avoir lu une interview de J. Abeille mentionnant qu'il avait justement extrait certains de ces récits de la trame originelle de ces romans pour les publier de manière indépendante car ils brisaient le rythme de la narration des œuvres princeps. Là, nous avons donc des brisures de rythmes à la suite les uns des autres...