Incas d'école
L'empereur de l'uchronie en littérature, et il n'est pas prêt d'être détrôné, reste Philip K. Dick avec Le Maître du Haut Château qui imaginait le monde dans les années 60 après la défaite des Alliés...
le 21 août 2019
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« Civilizations » c’est d’abord une idée de départ assez géniale : Christophe Colomb n’a pas découvert l’Amérique, ce ne sont pas les conquistadors espagnols qui ont colonisé l’Amérique du sud mais les Incas qui ont envahi l’Europe au XVIeme siècle.
Idée de départ originale, lumineuse. Un programme donc des plus alléchants.
Disons le tout net si le sujet et l’intrigue sont assez captivants le style littéraire laisse globalement un peu à désirer (étonnant de constater que ce roman a eu un prix de l’Académie française, si on compare par exemple à un auteur contemporain comme Maylis de Kerangal dont le style est pure merveille celui de Binet reste assez quelconque) et peut parfois surprendre (par exemple la première partie est racontée comme une saga scandinave , puis le journal de bord de C.Colomb avec un style totalement différent, puis la dernière partie de manière assez neutre) ; rien de bien grave toutefois mais j’ai lu des romans au style plus maîtrisé.
Certains diront que tout cela est tiré par les cheveux ? Pas tant que cela et si on y réfléchit bien tout à fait plausible, parfois l’Histoire de l'Humanité se joue à quelques détails voire à un fil. C’est ce que montre ce roman.
Certes on peut y trouver des incohérences ou des invraisemblances comme l’armée de l’Inca Atahualpa composée de 100 hommes et quelques décimant celles de Charles Quint de plus de 2000 hommes et certains passages pourraient faire sourire mais si on relit l’histoire (réelle cette fois) de la conquête espagnole au Pérou certaines faits peuvent paraître invraisemblables également et pourtant ils ont eu lieu, les conquistadors de Pizarro et de Cortès n’étant guère plus nombreux au départ et ils ont profité des rivalités et conflits au sein de l’empire inca.
Car quand l’Inca Atahualpa débarque à Lisbonne, l’Europe est à feu et à sang notamment à cause des guerres de religion, et de l’Inquisition, qui ravagent de nombreux territoires et lui aussi profite des rivalités et autres conflits de l’époque.
Une des parties les plus intéressantes d’ailleurs est celle où les incas critiquent, de leur point de vue, la religion chrétienne (catholique et protestante – Luther est d’ailleurs très présent dans la seconde partie du roman), leur incompréhension vis-à-vis de certaines aspects théoriques et pratiques du culte. Sous un aspect naïf c’est assez savoureux et truculent . Une vision lucide, marrante ("la religion du Dieu cloué") et qui est un pur moment de bonheur à lire.
Autre bonne trouvaille et beaucoup d’imagination également est cette correspondance délicieuse entre More et Erasme, deux personnalités phares du début de la Renaissance, tant sur le plan politique que philosophique.
Evidemment il faut s’intéresser un minimum à l’Histoire pour situer l’intrigue et apprécier la situation de l’empire inca et de l’Europe au XVIe siècle.
Pour résumer si vous accrochez à l’histoire (et à l’Histoire), si vous la trouvez captivante, si elle vous régale (et c’est mon cas) alors vous aimerez ce roman.
Par contre si le sujet ne vous emballe pas vous risquez de vous ennuyer ferme autant par l’histoire que pour le style.
J’ai lu qu’il y avait des (petites) erreurs, des incohérences, des hypothèses peu vraisemblables ; c’est possible mais tout d’abord je trouve le livre bien documenté (sur les Incas, sur les religions…) et ensuite il s’agit d’un roman, historique certes mais d’un roman, d’une uchronie, pas d’un essai d’Histoire.
Donc tout n’est sans doute pas absolument d’équerre d’un point de vue strictement historique mais personnellement cela ne me gène pas dans ce cadre et cela ne nuit absolument pas au roman.
Après que certains historiens viennent « chipoter » sur telle citation, telle petite erreur c’est leur travail (voir par exemple l’article intéressant bien que très critique de Frédéric Werst paru sur le site "En attendant Nadeau") mais rien n’empêche ensuite de lire des articles ou des essais, en complément, sur cette époque passionnante.
Pour conclure Laurent Binet nous offre un roman captivant même si le style est somme toute assez quelconque, neutre, certains diront bâclé, ce qui est tout de même exagéré.
Mais l’histoire est tellement palpitante que ça passe (même si une écriture d’un meilleur niveau aurait apporté un plus). Car franchement difficile de faire plus original et de tenir en haleine sur plus de 350 pages.
Pour moi c’est l’intérêt du roman qui prime et qui détermine ma critique et là cet intérêt est réel et surtout plein d’inventivité. Et plein de rebondissements aussi mais je n’en dis pas plus.
Créée
le 28 mars 2020
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