Clair de femme par T_wallace
Il y avait le Gary écolo des Racines du Ciel ; il y avait, avant ça, le Gary émouvant de l'amour familial dans La promesse de l'Aube ; puis il y eut le Gary lyrique de Clair de Femme, que l'on sentait légèrement désabusé.
Au point de se méprendre, peut-être : n'était-ce pas le signe annonciateur du nihilisme qui guette le génie à l'orée de la vieillesse ? Était-on en train de perdre le jeune amour qu'on portait à cet imposteur magnifique, deux fois goncourté ? Une once supplémentaire de désespoir, et on lui collait un cinglant 3, au Roman.
Et puis non.
Une fois encore, il nous l'a sortie, sa grandiose ironie, son irrationnelle bonne humeur lancée à la gueule de la fatalité, comme il le dit lui même (à noter qu'il ressort souvent le verbe "gueuler", un peu comme un mantra : un énervé, le Kacew, méfiez vous de lui) "à une époque où tout le monde gueule de solitude et où personne ne sait qu'il gueule d'amour", et d'ailleurs ses personnages finissent par le savoir, à tel point qu'ils se disent tout ce qu'on n'ose jamais vraiment se dire au sein d'un couple, le temps d'une cuite à la mesure de l'intensité de ce court roman.
Roman d'une biture, d'un amour irraisonné provoqué par le désarroi de la disparition plus que par le hasard d'une rencontre, de numéros insolites dont l'absurdité ne souligne que le désert de l'existence (un caniche rose et un chimpanzé dansant le Paso doble ! un homme dysphasique !), de longues tirades poétiques pleines d'espoir et de désappointement, un balancement permanent entre tristesse de la fin et joie du commencement : Clair de Femme sidère, plombe le moral, révolte par son effroyable machisme mais vous réconforte par son habileté à tout faire passer sur le compte de la sensibilité, et éveille une envie incoercible de boire la vie à grande goulées, comme Michel s'envoie les whiskies cul-sec chez Lydia.
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