Après deux premières parties qu'on pourrait penser admirables, Victor Hugo semble prendre son propre propos à contrepied en proposant au prolétaire l'horizon d'une double soumission ; soumission à la religion d'abord, la perspective d'un « avenir céleste » et d'un « bonheur éternel » valant bien les jouissances du riche, et docilité face à l’État ensuite, organe dont il se fait conseiller en lui suggérant d'instruire les masses par les évangiles et en offrant aux pauvres, par ce biais, « la croyance à un monde meilleur ». On contient ainsi sa colère pour éviter qu'elle ne prenne la forme d'une révolte. Le pauvre « sera tranquille, il sera patient », nous dit-il, explicitant le potentiel de servitude volontaire qu'offre le texte sacré, qu'il suggère de distribuer sans retenue.
Il nous dresse dans la première partie le portrait d'un homme illettré mais riche d'esprit, et l'oppose au directeur inspirant le dégout malgré son lettrisme supposé. L'avertissement est clair : on ne berne pas quelqu'un qui pense. Le gueux s'en prend au directeur de la prison, métaphore du pouvoir et donc de l’État, et l'assassine quitte y passer lui-même. L'injustice est telle que le peuple n'hésitera pas à en venir aux armes le moment venu et jusqu'à verser son sang, d'où l'urgence de sortir la masse inculte de là où elle est en la ramenant au raisonnable. L'intuition de Victor Hugo se concrétise d'ailleurs lors des journées de juin 1848, quelques années après la parution du roman. Dès lors, on s'étonne moins d'apprendre qu'il n'hésitera pas à prendre part aux massacres, commandant des troupes face aux barricades parisiennes. C'est le prix à payer pour sauver « la civilisation » et même « la vie du genre humain » (Hugo, Choses vues : 1847-1848, p. 347) face à ces fainéants d'ouvriers (p. 336).
On attendait Victor Hugo sur le terrain de l'éthique, comme c'est le cas dans son discours de septembre 1848 face à l'Assemblée constituante (arrêtez de ricaner). Mais dans Claude Gueux, pas de grands discours humanistes, il est ici avant tout question de gestion : on nous apprend qu'en plus de faire tâche, la peine de mort est inutile sur le plan de la gouvernance des populations, et que son abolition serait en revanche franchement efficace pour ce qui est du désamorçage du potentiel révolutionnaire.