Publié quelques années après "Le dernier jour d'un condamné", réquisitoire contre la peine de mort, "Claude Gueux", inspiré de faits réels, est une pierre de plus portée à l'édifice politique et social de Victor Hugo.
Claude Gueux, au nom prédestiné, est un ouvrier poussé au vol par la pauvreté et incarcéré à la prison de Clairvaux. On croit ordinairement que la punition est la dernière étape de la déshumanisation mais ce bref récit prouve le contraire puisqu'une fois prisonnier, l'homme peut encore s'enfoncer davantage dans sa misère sociale de laquelle, selon Hugo, naît le crime.
Claude Gueux préfigure complètement le futur personnage de Jean Valjean, tout comme Monsieur D. (le directeur de Clairvaux) annonce celui de Javert. La justice sociale aura toujours orienté la plume de Victor Hugo, un écrivain engagé et portant haut ses convictions. Ici, il ne dissimule nullement ses intentions puisqu'il achève son livre par un pamphlet contre le gouvernement et prend à parti la société avec la verve d'un Voltaire défendant La Barre.
J'ai été sensible au fond comme à la forme de ce court roman aux allures de chronique et de réquisitoire - davantage peut-être que pour "Le dernier jour d'un condamné". Le lecteur actuel pourrait taxer la position de l'auteur d'une forme d'angélisme quand il s'agit avant tout de charité chrétienne et d'humanisme, comme il le confesse lui-même en conclusion dans un vibrant plaidoyer en faveur de l'enseignement et de l'éducation populaire.
Sur la forme, j'ai été saisie par les descriptions de la prison de Clairvaux, sûrement parce que j'ai récemment visité l'ancienne abbaye. La visite d'un lieu qui accueille toujours des criminels condamnés à perpétuité ne se fait pas librement mais ma grand-mère qui m'accompagnait s'étant soudain sentie fatiguée, le guide permit que nous nous assîmes toutes les deux dans le couloir des anciens cachots pendant que le groupe poursuivait le parcours. Ce que j'ai ressenti pendant ces vingt minutes où, dans un silence oppressant, nous attendîmes leur retour, en ayant pour unique vis-à-vis les fenêtres à barreaux d'un interminable corridor conventuel éclairé par un jour gris, à travers lequel le moindre bruit se répercutait en échos secs, avec autour de nous des murs décrépis rongés d'humidité et marqués de graffitis d'anciens détenus, avec dans l'air une odeur tenace de poussière et de salpêtre, et avec enfin la terrible conscience que derrière ces murs se trouvait la promenade des actuels détenus, peut difficilement se décrire. L'impérieux besoin de sortir de là, de retrouver le groupe et de respirer à l'air libre avait changé d'un seul coup ma perception de la liberté et c'est exactement ce sentiment que j'ai retrouvé à la lecture de "Claude Gueux".