C’était un de ces beaux jours de septembre. Un de ces jours où le destin allait s’abattre sur une nouvelle victime, comme pour transformer ses rêves ensoleillés en une brume éternelle. Du destin, il n’est jamais question ici. Juste d’occasions manquées et d’un avenir à oublier. Juste de la vie dans sa plus pure désillusion. C’était un de ces jours où les étudiants rentraient. Rentrer pour ne plus jamais revenir. Des étudiants qui avançaient, telle une masse difforme, sans âme et sans passion, à l’intérieur du hall académique.
Les portes s’ouvrirent et laissèrent s’engouffrer l’avenir de la nation. Une bien belle nation que voilà ; celle qui encourage l’égalité des chances pour mieux formater sa progéniture à ses ambitions impersonnelles. Des portes de non-retour, qui dans leur immobilité s’accordaient parfaitement au système qui les a vu naître.
Les futurs avocats, huissiers et chômeurs s’installèrent dans le monumental amphithéâtre. Drôle de nom pour un lieu qui ne laisse aucune place à l’art si ce n’est à la rationalité et au syllogisme. Ils sortirent, d’une manière peu commune et simultanément, leurs « cerveaux » portables pour se mettre à pianoter une symphonie d’une nouvelle génération : celle de la passivité et de l’indifférence.
Sur l’estrade, le doyen s’exprimait, déblatérant la même rengaine que chaque année. *P*rofessionnalisation, *I*nternationalisation, *F*acturation : je l’avais dans le pif. La nonchalance se lisait sur son visage. Un visage qui autrefois avait côtoyé l’ambition d’être la doublure de Gene Kelly à Broadway. Mais la vie n’est pas une comédie musicale, et le flegme avait remplacé l’idéalisme de son visage. Chacune de ses informations passait à la moulinette du traitement de texte. Taper, encore et encore, la petitesse de l’être.
Et au milieu de ce bétail juridique, un homme s’y refusait. Comme pour briser le mur construit par l’illusion éducative, formant des jeunes à des professions aussi lointaines que sont devenus leurs songes d’enfant. En cet homme, respirait la rage vis-à-vis du meurtre de son avenir. La vengeance le consumait. Tout en lui refusait ce pour quoi ses camarades étaient là. S’amorça alors une lente et douloureuse mort intérieure.
Et d’un gros livre rouge, la descente aux enfers ne fut que plus rapide. Lui, Alexandre, le fruit d’une conception Bergmanienne (comme une lanterne magique pour tisser la toile de son imagination) se devait alors renier tout ce qui avait été à la base de son éducation. Lui, dont les songes sont faits de pellicules 35mm et de doubles focales, allait devoir se résoudre à rêver d’autorités administratives indépendantes et de responsabilité délictuelle. Chaque cours et travaux encadrés devenaient alors l’expression même de son désespoir.
Hurlant son incompréhension dans ce monde de décrets et d’assignations, Alexandre allait expérimenter une nouvelle forme de folie scolaire : la cassation. Procédé ayant pour but d’envoyer l’étudiant devant une névrose de première instance avant que celui-ci ne fasse les frais d’une cass(tr)ation Old School du tribunal des conflits intérieurs sans même pouvoir plaider sa cause ; la cassation permet cependant une sélection naturelle au sein des promos. Alexandre allait donc connaître ses derniers instants de lucidité et de sérénité, jusqu’au jour où il élut domicile dans l’antre de la folie : un livre rouge, symbole d’une dictature spirituelle, pire que toute transformation Cronenbergienne.
Reconnaissons tout de même l’utilité de l’objet : à mainte reprise utilisé pour exploser son réveil ou plus connu pour son efficacité en tant que butée de porte, Alexandre fit de ce bloc de papier l’objet des expérimentations les plus Godardiennes. De sa mélancolie ressortait alors une créativité ignorée. Il se fit alors voyeur de la vie, explorant chaque recoin de l’habitat Lillois en quête d’une poésie visuelle. Sa présence dans les salles obscures n’avait d’égal que son dégoût de la matière universitaire à laquelle il avait été assigné. Seul le septième art donnait un sens à sa vie. De critiques en avis argumentés, Alexandre laissait aller son esprit à des divagations aussi jouissives que formatrices, loin de la rigueur qu’exigeait l’univers juridique.
Observer, partager, découvrir, des mots élevés en règle générale et universelle. Le juriste en lui était mort-né ; préférant confier la responsabilité d’encadrer la société et le pouvoir de normer à ceux qui le veulent vraiment. Et pourtant, tous les indicateurs laissaient penser à sa réussite supérieure : major de promo au baccalauréat, élève studieux et assidu, etc. Sans compter sur sa volonté de ne pas respecter sa destinée. Mais à chaque tentative d’engagement cinématographique, le Droit le rattrapait, comme une malédiction qui voudrait torturer son hôte avant de l’exécuter. De fiches d’arrêts en cas pratiques, d’inintérêt en déprime légitime, le breakdown avait commencé : Alexandre lutta tant bien que mal contre ce fléau, par une dose intensive d’objets filmiques en tout genre.
Mais seul, sans le moindre espoir d’une procédure post-BAC qui n’aboutissait jamais, l’heure du rappel à l’ordre était venue. Choisissant la sécurité que ses parents lui avaient confiée, Alexandre tourna le dos à ses rêves et s’enferma dans cet amphithéâtre, au milieu de cette génération sacrifiée par le système éducatif. Une dernière fois, il vit défiler les éléments fondateurs de sa vie, des bribes de pellicules se consumant dans les interstices de sa mémoire : de cette séance où il versa une larme pour une déchirure américaine aux sourires provoqués par des Gentleman Jim et des James Stewart, les souvenirs le retenaient prisonnier des anges gardiens et des boxeurs au grand cœur ; l’espoir illusoire au fond de lui de ne jamais voir s’ouvrir les portes du pénitencier.
Vidé de sa consistance et de ce qui faisait sa singularité, Alexandre tomba pour ne jamais se relever : assis au milieu de sa destinée, il en était réduit à devenir l’individu fade qu’annonçaient les saintes écritures. This Is the END. La FIN. La caméra s’éloignait au fur et à mesure que la fatalité aspergeait Alexandre. Un travelling arrière dont l’ironie n’a d’égale que sa portée deshumanisatrice. Il se mit alors à suivre le mouvement général, baissa la tête et appuya sur les touches de son clavier. Le Droit avait eu raison de sa passion. Il devint alors aussi froid, rigide et chosifié que le livre qu’il avait autrefois haï. Et de son éternel fardeau, ne reste qu’un fondu sur une foule ayant absorbé son dernier souffle de cinéma…
Sur le Droit Chemin ?
Suite thématique : Force Tranquille