Lu en Avril 2021. Édition blanche Gallimard. 8,5/10
Cet essai très accessible de Daniel Pennac commence par présenter avec ironie les parents qui veulent faire lire leurs enfants (sans trop savoir pourquoi) et qui accusent tout et n'importe quoi sur le fait que les jeunes ne "lisent pas". Ils trouvent des excuses à tort et à travers (les plaintes adressées envers la télévision), alors qu’ils en sont les seuls responsables.
Il évoque le fait que personne, mêmes les profs, n'attendent des élèves qu'ils lisent. (30. p75). En réalité, tout le monde attend seulement des enfants qu’ils réussissent leurs études. Et cet état de fait est une grande hypocrisie qui empoisonne le plaisir de lire dès le plus jeune âge. Si bien que certains enfants qui sont de « mauvais tacticiens scolaires » finissent par confondre scolarité et culture, et se croient très vite des parias de la lecture. (53. p136)
Ainsi, Pennac n’hésite pas à dresser un portrait acerbe des programmes scolaires, de leurs exercices ainsi que des machines à concours, qui se calent sur des objectifs parfois bien loin de l'amour du livre (40. P96)
Il propose donc de donner de l’importance à la légèreté de la lecture quand on est enfant. Lire et faire aimer lire, voilà l'essentiel. Peu importe que l'enfant ne comprenne pas toute l’histoire. La seule chose importante c'est d'établir un rapport de confiance entre l'adulte en devenir et le livre. L'enfant doit s'approprier l'objet-livre et je pense d’ailleurs que ce principe peut s'imposer à toutes les facettes d’une éducation. La patience, le goût, le plaisir, la curiosité, toutes ces caractéristiques forment un adulte heureux et potentiellement, lecteur.
Ainsi, il faut couper court aux voix du productivisme à outrance. Le temps n'est pas quelque chose que l'on gagne. Le temps est gagné lorsque l'on est heureux. Et on gagne alors à gagner du temps.
C’est un livre dont l’écriture est d’une grande douceur, on sent le professeur indulgent et à l’écoute derrière ces mots. Certes, on peut lui reprocher d’être un peu démago. De rendre trop facile une réalité du partage plus difficile, ou même d’enfoncer des portes ouvertes. Mais une chose est sûre, c’est vers cette attitude qu'il faut tendre dans la mesure du possible et encore fallait il écrire cette belle ode à la lecture en insistant paradoxalement sur sa non-obligation.
Bravo Monsieur Pennac ! (Et désolé pour cette « fiche » qui vous déplairait sûrement).
« Le vingtième siècle trop visuel ? Le dix-neuvième trop descriptif ? Et pourquoi pas le dix-huitème trop rationnel, le dix-septième trop classique, le seizième trop rennaissance, Pouchkine trop russe et Sophocle trop mort ? Comme si les relations entre l’homme et le livre avaient besoin de siècles pour s’espacer. » (13. p35)
« Oui… La télévision élevée à la dignité de récompense… et, par corollaire, la lecture ravalée au rang de corvée… c’est de nous, cette trouvaille... » (20. p52)
« Il semble établi de toute éternité, sous toutes les latitudes, que le plaisir n’a pas à figurer au programme des écoles et que la connaissance ne peut qu’être le fruit d’une souffrance bien comprise » (32. p79)
« Le propre du sentiment, comme du désir de lire, consiste à préférer. Aimer c’est, finalement, faire don de nos préférences à ceux que nous préférons. Et ces partages peuplent l’invisible citadelle de notre liberté. Nous sommes habités de livres et d’enfants. » (35. p86)
« Le temps de lire est toujours du temps volé. (Tout comme le temps d’écrire, d’ailleurs, ou le temps d’aimer.) Volé à quoi ? Disons au devoir de vivre » (49. p124)
« En argot, lire se dit ligoter. En langage figuré un gros livre est un pavé. Relâchez ces liens-là, le pavé devient un nuage. » (50. p126)