Comme j'ai bien fait d'attendre d'avoir remonté la Ruta 5 du Chili avant de lire ce trépidant roman d'un auteur que, pourtant, j'étais impatiente de retrouver après le très convaincant Mapuche et le très sympathique Pourvu que ça brûle ! Ce gars fébrile dont chaque apparition dans les émissions littéraires est une épreuve haletante pour le spectateur - fulgurance du débit, palpitations hypnotiques des yeux et AVC garanti pour suivre le rythme des phrases lancées à la mitraillette - a vraiment le chic pour faire de la matière glanée au cours de ses voyages des récits palpitants et pleins de substance. En prime, il a pris le pouls du Chili avec l'acuité d'un médecin légiste qui aurait passé 30 ans dans un monastère tibétain à étudier l'analyse de l'odeur des urines des malades... J'ai retrouvé dans son roman une quantité considérable de remarques que j'avais moi aussi consignées durant le mois que j'ai passé entre Santiago et San Pedro de Atacama, et ça fait chaud au cœur de voir justice ainsi rendue à ce petit grand pays dont les Etats-Unis avaient fait le laboratoire du libéralisme carnassier qui est en train de nous dévorer à notre tour. Et j'ai aussi vibré, un peu malgré moi, à la très émouvante histoire de Gabriela et Esteban, entourés de personnages secondaires que j'avais vu naître dans le récit autobiographique de l'auteur. C'était comme retrouver de vieux potes connus en Erasmus et perdu de vue depuis. Après, je ne suis pas lectrice de romans policiers, alors j'ai dû m'adapter à cette intrigue compliquée, faite de trafics, de corruption et de coups fourrés, qui aurait pu me laisser sur la touche si la trame humaine n'avait pas été aussi épaisse. Finalement, il me faut saluer avec grand respect l'inventivité littéraire d'un auteur qui ne se sent jamais contraint de s'en tenir à un style clinique parce qu'il écrit un roman policier ou un thriller. Au contraire, il se paie de belles envolées un peu barrées et s'obstine à une adjectivation militante, très engagée dans une poésie sombre et charnelle à la fois. Bref, tout plein de qualités pour ce livre que j'avais peine à lâcher et qui réconcilie franchement avec le versant un peu trash, ou dark ou tout autre vilain mot d'emprunt, de la narration.