Étonnant
Je me reconnais dans cette confession sur bien des points. L ´écriture est jubilatoire et génère une réflexion sur l évolution de la société en particulier sur les relations hommes femmes
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le 1 mai 2023
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Un matin de 2018, Frédéric Beigbeder trouve sa maison couverte de graffitis haineux : « ICI VIT UN VIOLEUR ». Il se demande ce qu’il a fait pour mériter ça et, comme il ne sait pas expliquer ce geste à Oona, sa fille de trois ans, il décide d’y consacrer un petit livre. Par ses prises de position, son mode de vie, les sulfureux qu’il a côtoyés – parmi lesquels l’ignoble Matzneff –, bref, par l’image qu’il a développée, Beigbeder est la cible toute trouvée des néoféministes, celles qui entendent secouer leur joug et mettre à bas le patriarcat. La meute est à ses trousses, dont l’ardeur laisse notre homme pantois.
Indéniablement, #metoo a engendré des excès : des tribunaux médiatiques qui passent par pertes et profits la présomption d’innocence aux manifestations en non mixité, l’auteur a beau jeu de dénoncer les outrances des militantes d’aujourd’hui. Des outrances qui sont sans doute à la mesure du système que ces engagées enragées dénoncent : pour choquants qu’ils soient, les excès du wokisme le sont sans doute moins que ceux du système patriarcal dont on découvre avec stupéfaction qu’on n’en voyait que la partie émergée de l’iceberg. Sous ses dehors subversifs, le discours de l’ex clubber prend soin de cocher toutes les cases de la morale contemporaine : la drogue c’est mal, les agressions sexuelles c’est mal, les inégalités entre hommes et femmes c’est mal. Il se vante même d’avoir dénoncé les mauvaises pratiques de son milieu bien avant #metoo. Presque un saint.
Il va d’ailleurs décider de se retirer parmi les frères à l’abbaye de Sainte-Marie de la Grasse. Le contraste, violent, fait un bien fou à notre rescapé du showbiz. Idem avec l’expérience suivante, l’embrigadement éphémère au 21ème RIMA de Fréjus, l’ancienne armée coloniale française. A chaque fois, l’auteur trouve dans ces structures rigides mues par une entité supérieure (Dieu pour les chanoines, la France pour les militaires) une source de joie insoupçonnée. Ce qui ne l’empêche pas de retomber dans ses vieux démons. Il semble lucide sur le caractère hors sol et affreusement superficiel du festival de Cannes, très bien, mais alors pourquoi y va-t-il ? Au mieux, c’est un manque de cohérence, au pire c’est cracher dans la soupe…
Ce petit livre s’achève sur le versant hétéro contenu dans le titre : Beigbeder aime les femmes, il les désire, toutes celles qu’il croise, en permanence sur le qui-vive. Son petit jeu favori consiste à se demander pour chacune s’il coucherait avec elle : c’est le test du oui/non. Le plus souvent c’est non quand même, mais les oui sont légion. Or, aujourd’hui, les hétéros ont intérêt à savoir réfréner leurs désirs. Page 117 :
Je vis dans un pays où l’homophobie est un délit, et tant mieux, mais où l’hétérophobie est encouragée dans les médias. Se moquer des hétérosexuels, les appeler « hétéro-beaufs », « connards » ou « porcs » est parfaitement autorisé. C’est pourtant aussi ignoble que quand les hétéros disent que les homosexuels sont des tapettes, des fiottes ou des pédales. La seule différence est que les hétérosexuels ont été au pouvoir durant des millénaires.
Une différence cruciale en vérité. Pour Beigbeder, les homos ont de la chance car ils peuvent bien plus facilement assumer leur libido. Pas sûr que j’envie, pour ma part, la sexualité compulsive qui règne souvent dans le milieu homo, au point de venir faire son marché dans des bars ad hoc (même si, bien sûr, je connais des homos qui ne sont nullement travaillés en permanence par leur libido). En tout cas, pour frère Frédéric la messe est dite : tous les hétéros sont comme lui, ils ne pensent qu’à ça. Page 127, s’agissant du test du oui/non : « Je vais vous l’expliquer et vous saurez enfin ce qui se passe dans la tête d’un hétérosexuel ». En réalité, Beigbeder n’est pas un hétérosexuel, c’est un obsédé sexuel. Il devrait peut-être envisager l’hypothèse que ce ne soit pas le cas de tous les hétéros ?
Il a en tout cas le mérite de l’assumer, ce qui est bien plus courageux que de s’afficher en repenti de ses excès passés. Ce faisant, il étale sur la place publique un sujet insuffisamment creusé aujourd’hui : la différence de libido entre les hommes et les femmes. Car si tous les hommes ne sont pas comme lui, nombreux sont tout de même traversés par des pulsions que les femmes partagent beaucoup moins. Le plus souvent les mâles se dominent heureusement : comme disait Camus, « un homme ça s’empêche ». Quand ils n’y parviennent pas, quand la cocotte-minute implose, cela donne les regards lourds, les propos déplacés, les agressions sexuelles, parfois les viols. Ou, moindre mal, le porno en libre accès, voire la prostitution, que Beigbeder défend comme soupape nécessaire. Vieux débat. Quant aux maris fidèles, le trublion a du mal à les comprendre, bien que lui-même semble très épanoui dans le ménage stable qu’il a établi dans le sud-ouest. Il ose même pour finir une ode au mariage. Un vrai repenti, notre ex noctambule décidément… N’empêche : même s’ils en dénonceront comme moi les excès, bien des hommes hétéros risquent de reconnaître une part d’eux-mêmes dans cette salutaire description. Cette part refoulée annonce bien des déconvenues : l’auteur s’inquiète, en effet, du fossé grandissant qui s’installe entre les hommes et les femmes – ce que des études récentes confirment, la tendance s’accentuant chez les plus jeunes. Pape 128 : « De plus en plus, le sexe hétéro sera comme nos cartes de crédit : sans contact ». Jolie formule, comme en compte quelques-unes cet ouvrage, de celles qu’on pouvait attendre d’un écrivain passé par la pub et les talk shows, adeptes des punchlines.
Quelques bons mots ne font certes pas un écrivain : l’ensemble n’est guère littéraire. On déplore notamment quelques fausses notes, comme page 29 l’indigent : « l’avantage des confessions, c’est de pouvoir raconter des choses qu’on n’a jamais racontées », que l’éditeur n’aurait pas dû laisser passer, ou page 130 le paresseux « Je suis un romancier dont la femme est la fiction », suivi du faible « Je cherche l’adrénaline comme un pilote de F1 ». Sans oublier les inévitables anglicismes, tout aussi attendus que les formules qui font mouche (on me rétorquera que cette critique en contient aussi et c’est vrai, mais celle-ci n’affiche pas de prétention littéraire...). La fluidité du style rend la lecture plutôt agréable, dont acte, mais le pamphlet manque d’envergure. Vite lu, probablement vite oublié.
Créée
le 7 janv. 2025
Critique lue 3 fois
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