En près de 800 pages, « Confiteor » est un roman superlatif, un monument comme on en lit peu, un chef d’œuvre. En parler est difficile, tant ce récit est complexe et brillant, et en même temps si facile à lire, avec la force d’un fleuve qui emporterait tout, ou plutôt de mille rivières qui se rejoignent à la fin pour former un fleuve magnifique.
Adrià Ardèvol, un homme vieillissant, écrit une lettre à Sara, l’amour de sa vie. À partir de ses souvenirs d’enfance va s’assembler un puzzle vertigineux, en un roman inouï qui balaie des dizaines d’histoires individuelles, du XIVème siècle jusqu'à aujourd’hui.
Adrià a grandi dans une maison sans amour, traversé une enfance fastidieuse, sans rires ni tendresse, entre une mère invisible et un père qui ne vivait que pour acheter et vendre des objets de valeur. La seule ambition de ce père vis à vis d’Adrià était de faire de ce fils précoce un érudit. Il fut donc privé d’enfance, et il garde jusqu'à la fin de sa vie, morceau d’enfance disparue, les deux figurines d’Aigle Noir, un chef indien Arapaho, et du shérif Carson, conseillers de ses débuts et porte-paroles de ses doutes d’adulte.
«Toute mon enfance à la maison est enregistrée dans ma tête comme des diapositives de peintures de Hopper, avec la même solitude poisseuse et mystérieuse. Et je m’y vois comme un des personnages assis sur un lit défait, avec un livre abandonné sur une chaise nue, ou regardant par la fenêtre ou assis à côté d’une table dégarnie, contemplant un mur vide.»
Parmi les objets du père, dont le fils héritera en même temps que des conséquences de son histoire sombre, il y a un violon, autre personnage central du roman, non seulement un fil conducteur du récit, porteur de la beauté et de la malédiction à travers les époques, mais aussi dépositaire de l’impossibilité pour Adrià d’être un musicien de talent, de l’amitié et la rivalité entre Adrià et son ami Bernat, et enfin cause de la mort du père.
Adrià, un homme immensément érudit parlant plus de treize langues, est hanté par la culpabilité qu’il a hérité des actes de son père, par sa propre lâcheté et sa méconnaissance des disparus, en particulier de ses parents et de la femme qu’il a aimée. Histoire d’une vie et chant d’amour magnifique, «Confiteor» est aussi, a partir de l’histoire du père, une exploration à travers les siècles des origines du mal jusqu’au mal absolu, de l’Inquisition jusqu’au camp d’Auschwitz. Parce qu’à l’origine du mal se trouve toujours un homme, cette exploration s’incarne dans l’histoire de dizaines de vies.
«Je sais où est le Mal. Même le Mal absolu. Il s’appelle Himmler. Il s’appelle Hitler. Il s’appelle Pavelić. Il s’appelle Luburić et sa macabre invention de Jasenovac. Il s’appelle Schutzstaffel et Abwehr. La guerre exacerbe la partie la plus bestiale de la nature humaine. Mais le Mal préexiste à la guerre et ne dépend d’aucune entéléchie, il dépend des êtres humains. C’est pourquoi mon inséparable compagnon, depuis quelques semaines, est un fusil à viseur télescopique, parce que le commandant a décidé que je suis bon tireur. Nous allons bientôt engager le combat. Alors, je décapiterai le Mal à coups de fusil et ça ne me dérange pas d’y penser. Tant que celui que j’aurai en ligne de mire sera un nazi, un oustachi ou, que Dieu me pardonne, un soldat ennemi.»
La trame du récit aux dizaines de fils se révèle progressivement pour former au final une composition totalement aboutie, un roman désespérant sur l’impossibilité de se soustraire au Mal, la rareté du bonheur et l’imprévisibilité du destin, mais aussi un hommage extraordinaire à la littérature et la musique, même si l’art peut dire mais ne peut protéger contre le mal.
«L’art est mon salut, mais il ne peut être le salut de l’humanité».