(Lu dans l'édition Livre de poche avec trad. de J.-P. Martin).
Le livre se découpe sur 13 jours, du 13 au 25 juin 1979. Un faux avant-propos remercie les participants de l'expédition d'avoir fourni un témoignage sur ce qui s'est vraiment passé, et parfois, dans le cours du récit, on retransmet les propos des interviewés, un peu comme dans ces documentaires à l'américaine.
Le livre est une sorte de course dans la jungle, entre une expédition euro-japonaise et une expédition américaine menée par Karen Ross, froide logisticienne du STRT, entreprise spécialisée dans des missions d'exploration dotées d'un matériel dernier cri et d'un support informatique improbable, le Dr Peter Elliott, spécialiste des primates accompagné d'Amy, une chimpanzée maîtrisant le langage des signes (elle n'a pas de traducteur vocal comme dans le film) et le capitaine Charles Munro, baroudeur spécialiste du Congo. L'enjeu est une cité perdue au pied du volcan Mukenko, où un explorateur a trouvé des ruines et des diamants avant d'être tué par de mystérieuses créatures simiesques.
Le livre décrit avec une minutie maniaque les procédures de sécurité des corporations pour protéger leurs données, la salle des serveurs à réfrigérer, les tentatives de hack (avec un argot inventé qui aujourd'hui fait sourire). La puissance supposée des ordinateurs est assez exagérée, par exemple avec l'analyse des fragilités psychologiques de Karen Ross, ou encore la manière d'estimer le temps de parcours d'une expédition changeant sans cesse de moyen de transport, ainsi que son pourcentage de chances de réussite. Il semble aussi démentiel d'imaginer qu'un programmeur pourrait en 24 heures trouver un moyen, à partir de quelques phrases, d'isoler des séquences permettant de décoder le langage de primates. Et puis comment ne pas sourire aujourd'hui à une phrase comme "Il s'agissait d'un équipement miniature hautement perfectionné. L'ordinateur de Ross possédait une mémoire de 189K" (p. 247).
Il y a un peu de gore (surtout au début, avec l'oeil arraché, de fort mauvais goût). Mais au fond, il n'y a pas tant que ça d'action. Les personnages passent bien plus de temps à sous-peser les risques ou s'expliquer des procédures plutôt que d'agir, quitte à ce que leurs plans soient sans cesse remis en question. Il y a aussi une forme de décontraction dans certaines scènes, à la limite de la parodie, comme à Tanger, quand Munro finit de négocier son pourcentage auprès de Ross alors qu'ils se protègent de tirs d'AK47 par des sbires de leurs concurrents. Et aussi un petit côté cyberpunk, à voir ces grandes corporations se tirer dans les pattes, enchaînant leurres, mesures et contre-mesures pour se ralentir.
La narration est par ailleurs ralentie par un certain nombre d'excursus "pédagogiques", sur les progrès de la primatologie, le hacking, l'histoire de l'exploration du Congo, le comportement des hippopotames, l'avènement des supraconducteurs comme révolution de la micro-informatique, les mutations des guerres futures, l'article "La mort de la nature" de Maurice Cavalle (dont je ne sais toujours pas s'il s'agit d'une vraie référence ou non), etc... On ne peut qu'admirer les recherches de Crichton, mais l'insertion est parfois un peu forcée.
Le plus gros problème à mon sens, c'est l'absence de cohérence de l'action. Le plan de Peter d'enlever un gorille tueur pour décoder leur langage à base de soupirs-gémissements est complétement suicidaire alors que la situation du groupe n'est pas si désespérée ; surtout, la décision finale de Karen de faire sauter des charges, soi-disant pour extraire des diamants, au risque de déclencher une éruption -qui se produit -, et le chapitre sur l'attaque d'hippopotames, tout cela est impossible à croire en-dehors d'un postulat de divertissement de série-B. Et c'est là que le bât blesse par rapport à un Jurassic park.
La représentation du Congo, en pleine guerre frontalière, est assez apocalyptique, avec notamment les cannibales Kiganis assiégeant la carcasse d'avion, vers la fin. On est un peu dans le roman colonial, aujourd'hui ça ne passe plus du tout. En revanche, la description du cheminement à travers la jungle est très réussie et prenante.
A la décharge du livre, la traduction de J.-P. Martin n'est pas des plus réussies, avec parfois des scories d'anglicismes, comme le fait de traduire "to deceive" par décevoir et non par "tromper", ou encore de qualifier les AK47 de "pistolets-mitrailleurs" (p. 145). Un peu plus de relecture n'aurait pas fait de mal.
J'ai insisté sur les faiblesses, mais Congo reste un roman qui se dévore avidement, dont le point fort se situe dans la description des environnements et surtout dans l'analyse du comportement de nos frères primates. C'est loin d'être déplaisant, mais attendez-vous à quelques lancer quelques "Quoi ?" à la lecture.