Des « Conseils aux jeunes littérateurs » écrits par un littérateur de vingt-cinq ans, c’est toujours bon à prendre, surtout quand s’y adjoint, comme aux Éditions Sillage, un essai sur « Les Drames et les Romans honnêtes » écrits par le même, futur auteur des Fleurs du Mal à qui la question de l’honnêteté se posera donc cruellement – « il en ressort une terrible moralité », tout ça…
Entendons-nous bien : ça ne constitue pas un chef-d’œuvre de théorie littéraire. Je n’échangerai pas un quatrain du « Cygne » contre ces deux textes d’une vingtaine de pages chacun, et on lira avec davantage d’intérêt des bribes de Mon cœur mis à nu, de la critique d’art de Baudelaire ou de sa correspondance. On y découvre qu’il peut parfois montrer un côté pontifiant, à la Victor Hugo : « Liberté et fatalité sont deux contraires : vues de près et de loin, c’est une seule volonté » (« Conseils… », p. 11 de la réédition Sillages).
Mais ces deux textes dressent, par touches, un portrait assez ressemblant du dandy contradictoire – pléonasme ? j’en connais du reste qui auraient préféré écrire « gros con » – que fut Baudelaire. Pour ceux qui ne s’en souviennent pas, Baudelaire peut être d’une incroyable misogynie. Passe encore que « la femme est naturelle, c’est-à-dire abominable » (je ne sais plus où il a écrit cela) doive avant tout être compris comme un éloge de l’artifice, et l’expression de la haine baudelairienne de la nature.
Mais ici, on a une classification des femmes d’écrivains, d’une part l’infréquentable classe des « femmes dangereuses aux gens de lettres, la femme honnête, le bas-bleu et l’actrice », sachant que cette dernière « n’est pas une femme dans toute l’acception du mot, – le public lui était une chose plus précieuse que l’amour » (ça, c’est dans les « Conseils… », p. 25) ; d’autre part les recommandables : « les filles ou les femmes bêtes, l’amour ou le pot-au-feu » (idem, p. 26). En rappelant, pour la forme « généralement les maîtresses des poètes sont d’assez vilaines gaupes, dont les moins mauvaises sont celles qui font la soupe et ne payent pas un autre amant » (« Drames… », p. 35). Évidemment, si l’on devait trouver dans ces textes une classification des poètes eux-mêmes – forcément des hommes –, elle aurait pour critères le talent ou le succès.
La deuxième caractéristique marquante de ces deux essais ne constitue pas une découverte pour qui se rappelle que Baudelaire figure dans l’Anthologie de l’humour noir de Breton : c’est son jeu perpétuel entre sincérité et ironie. Faut-il prendre au sérieux, en effet, des passages tels que « Jusque là, vae victis ! car rien n’est vrai que la force, qui est la justice suprême » (p. 12) ou « ce n’est que par les beaux sentiments qu’on parvient à la fortune ! » (p. 14) ? Autant « la haine est une liqueur précieuse, un poison plus cher que celui des Borgia, – car il est fait avec notre sang, notre santé, notre sommeil et les deux tiers de notre amour ! Il faut en être avare ! » (« Conseils… », p. 16) me paraît un précepte écrit au premier degré – malgré le côté surjoué de la référence aux Borgia –, autant « Je défie les envieux de me citer de bons vers qui aient ruiné un éditeur » (idem, p. 22) peut poser question, comme on dit en 2017…
« Le vice est séduisant, il faut le peindre séduisant ; mais il traîne avec lui des maladies et des douleurs morales singulières ; il faut les décrire » (« Drames… », p. 39) : cette phrase, on pourrait la croire tirée de la première préface de roman réaliste venue. C’est précisément pour cela, et parce que par ailleurs Baudelaire est Baudelaire, qu’elle instille le doute.