Auguste de Villiers de l'Isle Adam, poète maudit du XIXème siècle, offre dans ses "Contes cruels" et ses "Nouveaux contes cruels" une série de textes de styles et de tonalités très diverses, allant du drame fantastique à la satire de la société bourgeoise de son temps, en passant par le poème parnassien. Derrière cet apparente organisation "aléatoire" se cache une unité autour de la cruauté dans toutes ses formes : la cruauté d'une société qui tue l'artiste et dédaigne le pauvre ; la cruauté des valeurs bourgeoises dans leur utilitarisme castrateur et dans leur vénalité éclaboussant toutes les facettes de la vie ; la cruauté du progrès technique déshumanisant, néfaste pour la nature et mensonger cruauté de l'amour impossible pour le véritable amant ; la cruauté du non dit ; la cruauté du laïc face aux croyances anciennes; etc.

Jouant sur les doubles sens, les ruptures d'ambiance et la dissimulation, toujours dans un style à la croisée des talents du conteur, du poète et du metteur en scène, Villiers de l'Isle Adam réussit au fur et à mesure à transporter le lecteur même dans ses exagérations les plus puériles ; c'est là sans doute sa grande force, au même titre que sa manière toute particulière d'utiliser l'italique, comme pour interpeller le lecteur et le pousser à réfléchir.

Convoquant ses maîtres et amis - comme Poe, Mallarmé, Vigny, Mendès, Flaubert, etc. - dans ses liminaires dont le texte qui suit se fait écho (parfois avec toute l'ironie mordante dont est capable l'auteur), l'artiste nous livre ses textes dont la qualité oscille entre le bon et le génial.
Comme déjà énoncé, Villiers fait souvent preuve d'une ironie mordante envers la classe bourgeoise qu'il ridiculise dans "Les brigands" ou dont il dénonce l'hypocrisie, notamment vis à vis de la religion, dans "L'enjeu", envers la foule dans laquelle l'opinion dominante fait toujours Loi, ou encore envers le progrès technique dont les excès et l'inutilité sont exhibés dans les diverses présentations de solutions "miracles" que sont "La Machine à Gloire" ou encore "Le remède miracle du Docteur Tristan".
Sans doute frustré par son insuccès immérité, Villiers de l'Isle Adam se veut aussi très remonté contre la presse critique préférant la médiocrité au talent qui fait ombrage aux lecteurs et contre le public se laissant emporter par des effets de groupe (la "Claque" qui est cette fameuse "Machine à Gloire").
Mais son combat ne s'arrête pas là et revêt une dimension politique que l'on retrouve dans ce chef d'œuvre qu'est "L'amour du naturel". Royaliste, ami des pauvres et amoureux de la nature, l'auteur se veut mordant envers le nouveau pouvoir en place s'arrogeant les privilèges de la noblesse sans son mérite (Sadi Carnot prenant ses aises dans l'antique demeure de Saint Louis), les effets pervers du changement sur la nature (souvent prophète, Villiers de l'Isle Adam préfigure dans sa manière de parler les problématiques écologistes) et la qualité de vie (les aliments industriels), l'apologie de la médiocrité dans l'Art et la politique (discours tout faits, etc.). Sans pour autant approuver totalement ses engagements, on ne peut que rejoindre l'auteur dans certains constats énoncés avec une justesse prophétique.
En dehors des combats de cette nature, notre cher Auguste n'hésite pas non plus à nous transporter dans des mondes plus fantastiques ou exotiques, parfois dans le style de Poe ("La torture par l'espérance", un autre chef d'œuvre, ou encore "L'intersigne"), parfois dans le pur style biblique ("Le chant du coq"). Il cultive également la mélancolie gothique dans des récits au charme suranné comme "Duke of Portland" ou le très énigmatique et mystique "Convive des dernières fêtes" qui consacre sans doute de la meilleure façon le talent de Villiers de l'Isle Adam en matière de mystère, d'ambiguïté, de metteur en scène, etc.
Mais c'est quand il parle d'amour que notre auteur s'avère le plus touchant. On retrouve de fait dans ses textes ("Sylvabel" ou "Sentimentalisme") la malédiction du poète en amour (rappelant le fameux Chatterton de Vigny), la difficulté de communiquer dans le couple ("l'Inconnue") ou encore la cruauté des femmes comme les vénales "Maryelle" et "Demoiselles de Bienfilâtre" ou la sadique "Reine Ysabeau".
Enfin, Viilliers de l'Isle Adam montre tous ses talents de symbolistes dans "Impatience de la foule" ou "Vox populi" qui sont encore des armes de l'auteur dans ses combats récurrents.

Sans excès d'ampoule et avec une grande subtilité dans le jeu sur l'ambiguïté, Auguste de Villiers de l'Isle Adam nous offre néanmoins dans ses "Contes cruels" une série de textes incroyablement percutants. La cruauté y est abordée dans de multiples facettes, toujours avec une maîtrise de la langue qui donne toute l'épaisseur à ses récits. Même si ce n'est pas le cas de chacune de ses composantes, "Contes cruels" s'impose bel et bien comme un chef d'œuvre.
Foulcher
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le 15 janv. 2014

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