Ce conte de fées humoristique, exhumé en 1976, n'était au départ destiné qu'à distraire la femme de Vian, sur le point de subir une intervention chirurgicale. Vian n'était d'ailleurs pas encore un auteur publié au moment de sa rédaction, en 1943.
Nous avons donc ici les courtes aventures du chevalier Joseph, parti en quête de sucre (denrée rare pendant la guerre) et prêt pour ce faire à affronter elfes, sorcière, dragon et... Chinois ? L'humour absurde doit beaucoup à Lewis Carroll. "Le maravédis est une monnaie commode pour les choses qui valent vingt-six francs parce qu'un maravédis vaut un franc : ainsi, c'est très simple, il suffit d'en prendre vingt-six". Le conte de Vian n'a cependant pas la même dignité que celui du professeur-logicien. Vian y use volontiers de calembours potaches. Sans pouvoir réellement parler d'humour gras, l'absurde est ici au service d'un rire franc, là où Carroll y mettait plus volontiers de la poésie. Mais Vian écrit pour une adulte qu'on imagine stressée, quand son ainé avait pour public une petite fille.
Le lien avec Pratchett, que j'évoque dans le titre de cette critique, est plus ténu et certainement influencé par la chronologie de mes lectures : je viens en effet de relire deux livre de ce dernier. Il n'est pour autant pas totalement gratuit puisque Vian comme Pratchett parodient chacun à leur manière une forme de fantasy, et y incluent une satire du monde qui leur est contemporain (en l'occurence, la difficulté de trouver du sucre pendant la guerre, ou l'irruption de personnages réels dans le conte)
Cette première fiction de Vian montre déjà une grande faculté à agencer les trouvailles imaginatives mais souffre d'un rythme et d'une inspiration inégale, s'essoufflant sur la fin et cela malgré sa taille réduite.
Le livre contient également un début de réécriture du conte, abandonné au bout de quelques pages. Vian en profite pour mettre de l'ordre dans les constructions de phrases, parfois excessivement pesantes, de son premier chapitre et améliore ici et là quelques autres détails. Mais ce faisant, le texte perd un peu du charme que la spontanéité conférait à la première version. Est-ce pour cela que cette réécriture fut abandonnée ? Vient enfin les prémisses d'un projet de suite, lui aussi non abouti et c'est peut-être heureux, car ces quelques pages n'approchent pas les meilleures feuilles du conte original.
Si vous ne deviez lire qu'un livre de Boris Vian, il serait dommage que ce soit celui-ci mais Conte de fées à l'usage des moyennes personnes est une curiosité plaisante qui ravira les fans de l'auteur et les amateurs d'humour absurde.