Regarde-les ces cons !
Assis dans leur vie bien propre et bien rangée à juger en silence le vieux dégueulasse accoudé au bar, en parlant bien bas de leur budget, leur maison en banlieue et leurs foutus gosses qui n'intéressent personne. Ces fumiers en col propre, vivant dans la misère de leur quotidien, dans la fadeur d'une routine qui ferait passer le moindre dos d'âne pour un tour de montagnes russes.
Journalistes, éditeurs, politiciens, avocats et je ne sais quels autres boulots qui les occupent entre deux nuits à se garer sur la béquille à côté de bobonne, des frustrés, des pisse-froids !
Ça leur fait du bien de se défouler sur le pauvre type à la gueule burinée en train de rembourser à lui seul le crédit du barman, ça les conforte dans leur vie paisible et sans embrouilles. Rien à voir avec Bukowski, le pilier du bar, le crasseux, l'immonde pervers qui hurle sur tout le monde depuis 50 ans.
Pourtant ils sont pas bien différents du vieux Buk ! Eux aussi ils sont humains, ils pensent avec leur calbar et pas leur tronche. Eux aussi aimeraient bien agiter leur gourdin avec la même fierté que lui, si seulement ils bandaient pas mou depuis des piges faute de désirer leur bonne femme. Parle de pouvoir, c'est pas le pognon qui gouverne le monde, c'est le cul ! Et quoi qu'ils en disent, les prudes, les bien-pensants, ils pensent la même chose. La différence, c'est qu'ils l'assument pas. C'est pas chic, voyez.
Tous ces types là, ils intéressent pas Bukowski. Le plus grand écrivain, le plus grand poète de tous les temps qu'il dit ! Surtout un vieux dégueulasse, incapable de tenir assis sans un comptoir pour poser son verre et lever son coude, occupant son temps entre l'alcool et les gonzesses. Le Buk aime les femmes, certaines parties plus que d'autres. Il aime la baise, les coups d'un soir, se réveiller avec un marteau-piqueur qui danse la macarena dans le crâne.
Et comme tout alcoolique qui se respecte, le Buk enjolive ! Il raconte, il cajole l'oreille de ceux qui l'écoutent en fantasmant à tout-va. Pas de limite entre mythe et réalité, ses histoires filent du côté du conte sans qu'on puisse jamais en définir le point de bascule. Entre deux bières, entre deux cuisses, il nous invite à visiter sa folie, son humour grinçant et abject, ainsi que son goût prononcé pour ce que les gens bien appellent la décadence.
Et derrière la couche de crasse et de foutre de laquelle il s'enduit, loin de cracher sur tout ce qui bouge, le vieux Buk laisse transparaître une profonde tendresse pour les abîmés, les ratés, les laissés pour compte. Les prostituées, les fous, les tôlards, et même les trop jolies filles.
Tous ces gens qui sucent du rouge qui tâche et de la bière bon marché, faute de mieux, qui dorment sur les trottoirs et baisent avant de discuter, tous les miséreux, les crevards, les pourris de la société américaine, tous sont réunis sous la plume injurieuse du vieil alcoolique, et ils en profitent pour cracher à la gueule des gens d'au-dessus et secouer toute la merde qu'ils laissent derrière eux. Plus qu'un messager, Buk est un des leurs.
Alors oui, Charles Bukowski picole.
Et il vous emmerde.