Incontournable Contes et Légendes autochtones Avril 2023


Quelle ne fut pas ma surprise de voir ce petit livre arriver de la France, alors qu'il concerne le Québec et ses premiers habitants, les premières Nations autochtones. Je salue la présence de ce livre sur le sol européen, franchement, parce que les stéréotypes liés aux autochtones y sont encore très tenaces et très caricaturaux et que d'habitude, les livres issu du vieux continent sur le sujet évoquent des tipis, des danses autours du feu et des "Indiens d'Amérique", à notre grande exaspération à la librairie jeunesse où je travaille . Les autochtones sont aussi modernes que les autres citoyens canadiens, ont des maisons, des cellulaires, l'électricité et des motoneiges. Ces clichés d'il y a 400 ans n'ont plus raisons d'être.


Déjà, vous aurez remarquez que je n'emploie pas le terme "indien" ou "amérindiens". Pour citer un de mes auteurs préférés, M. Camille Bouchard: " le terme "Indiens" est très insultant pour désigner les membres des Premières Nations. Il s'agit d'une erreur historique attribuable aux explorateurs européens du XVe siècle qui, en abordant l'Amérique, croyaient avoir atteint l'Inde." ( Source: Roman "Le fantôme qui flâne", 2023). En clair, on emplois plus le terme en "N" pour les afro-américains, qui constitue une insulte: N'utilisez plus "Indiens", ce n'est PAS un synonyme "d'autochtone" et C'EST une insulte envers eux.


Déconstruisons quelques termes supplémentaires pour les besoins du livre:


Les "Mohawks", employé par les anglais, et "Iroquois" par les français, sont en réalité les Kanien'kehà:ka (Kanienkehaka), ils habitent actuellement les Rives Sud et Nord du Grand Montréal dans les communautés de Kanesatake, Kanhawake et Akwesasne, au Québec. Ils peuplent aussi quelques villages en Ontario et au Nord de l'état New Yorkais. C'est une nation matriarcale et sédentaire, à la différences des autres nations, qui étaient patriarcales et nomades.


Les "hurons" , terme employé par les français, se nomment "wendats", ils sont très présents dans divers domaines artistiques au Québec et on un village près de Québec où nous pouvons leur rendre visite, à titre de touriste. Les Wendats habitent la région centre du Québec, près de la capitale.


Enfin, les Innus, peuple nomade qui ont eu un jour un vaste territoire, sont éparpillés dans des villages le long du Fleuve. Les communautés innues aussi ont de plus en plus de visibilité sur le plan culturel, au Québec.


Le livre propose sept histoires issues de ces trois peuples. L'autrice précise que l'élaboration du présent livre fut inspiré par divers anthropologues, illustrateurs, poètes, conteurs, collecteurs d'histoires québecois.e.s, dont certain.e.s font parti.e.s des premières nations.


Dans "L'île de la Tortue" ( Pas celle des pirates des caraïbes) , issu du peuple Wendat, il sera question de la fondation du monde, alors que celui-ci était alors séparé entre Ciel et Eau, et dont la "Terre" repose désormais sur le dos d'une immense tortue, qui accueillera ses premiers humains, les Wendats. Cela explique aussi la signification du mot "Wendat", "Habitants de l'île".


Dans "Les trois soeurs", on nous évoque pourquoi les Kanienkehakas appellent le haricot, le maïs et la courge "les trois soeurs", véritable trio imparable sur le plan de la collaboration végétale: le maïs protège la courge de soleil et du vent et sert de tuteur au haricot. le haricot enrichit les deux autres en engrais et la courge maintient l'humidité nécessaire à la terre. Aussi, il parait que les grand-mères du peuple kanienkehaka cuisinent une soupe à base de ses trois légumes qu'on appelle "la soupe aux Trois soeurs. Dans L'histoire, les légumes sont personnifiés en véritables soeurs, qui ont grandit ensemble et s'aiment. Mais un homme vient tour à tour les chercher. Une histoire sans grand final, mais dont je constate avec les explications de l'autrice sur les légumes qu'il s'agit aussi de la compréhension des autochtones pour l'équilibre naturel des écosystèmes, même à l'échelle de trois légumes! Imaginez: même sans preuves scientifiques, ils avaient comprit que des êtres vivants aussi simples que des légumes pouvaient mutuellement s'entraider.


Dans "Comment la médecin est venue aux Wendats", il sera question d'un couple composé d'un homme et d'une femme forcés à l'hospitalité d'ours noirs. Bien que traités dignement, l'homme manifeste l'envie de partir à répétition, même si cela se solde par des blessures et des maladies causés par les ours qui les tiennent captifs. Chaque état grave sera guérit par la femme, à qui l'on enseigne des vertus médicinales et des baumes, à partir des ressources de la nature. Ce serait ainsi, après avoir expérimenté toutes les blessures sur la chaire même de son compagnon, que la femme wendat s'est vue dépositaire du savoir médicinal des ours, qu'elle transmettra aux générations à venir. Petit fait intéressant à savoir que j'ajoute ici: Désormais, à L'université des Premières Nations du Canada, en Saskatchewan ( au centre du Canada, dans les plaines) on fait rencontrer la médecine traditionnelle autochtone avec les techniques scientifiques modernes. Je joins le lien ce cet article à la fin de la présente critique. Profitez en pour admirer la superbe structure de cette université!


Dans les deux contes du personnage de Tshakapesh, décrit comme le premier "homme", nous aurons sensiblement deux histoires similaires. S'il est décrit comme "futé", n'empêche que ce n'est pas futé de sa part d'ignorer les conseils de sa soeur, qui par deux fois le met en garde, mais qui, par deux fois, choisi de prendre des risques. Dans la première histoire, après avoir eu un rêve dans lequel il se faisait avaler par la truite géant du lac, et qu'il lui fut recommandé de ne pas l'approcher, il se fait avaler par la truite géante. Heureusement, la soeur de Tshakapesh hameçonne la truite, fait libérer son frère et la coupe en minuscule morceaux pour que les truites ne soient plus jamais aussi immense. Dans la seconde histoire, encore une fois, après avoir choisi d'ignorer la mise en garde de sa soeur, le jeune homme se retrouve capturé par une grand-mère cannibale et bonne combattante. Heureusement, alors qu'il allait perdre, les deux filles de la grand-mère donnent un coup de mains pour la vaincre.


Il y a de l'ironie dans ces histoires, pour la moderne que je suis. Les deux histoires commencent avec ses mots: "Quand Tshakapesh pense, prend patience! Quand Tshakapesh rêve, Regarde! Quand Tshakapesh parle, écoute! Animaux, plantes, géants, dieux Tout agit et se transforme Dans le souffle de Tshakapesh!" Curieux quand même de le mettre ainsi sur un piédestal, quand on voit qu'il est surtout malavisé et suffisamment hautain pour ignorer des conseils. Je trouve aussi triste que la soeur , bien plus sage et empathique, soit simplement "la soeur de Tshakapesh" sans même un prénom. Ce n'est pas un constat que je fais pour la première fois, dans le monde des contes et des légendes, il me semble qu,il arrive souvent qu'entre les qualificatifs que posent les conteurs de leurs héros, leur comportement vient toutefois contredire ces derniers, comme ici. Je me demande qu'en pensent les innus modernes?


Dans les "Oiseau d'été" vous sera raconté une légende innue sur la raison des oiseaux de faire des migrations du Nord vers le sud, et vice-versa, et pourquoi les passereaux appelés "bruants des neiges" sont les premiers à arriver.


Enfin, la dernière, ma préférée, celle d'un garçon qui n'était pas aimé de son beau-père et enfermé vivant dans une grotte. Élevé tour à tour par un grand-père porc-épic puis une mère ourse et ses oursons, le garçon vivra près d'un an dans la nature, accumulant les connaissances et les expériences. Un jour d'hiver, lui et les siens sont repérés par des chasseurs wendats et tel que prédit par la mère ourse, elle sera tuée, ainsi que deux se ses oursons, mais sa fille et le garçon survivront. Retrouvé par les siens, sa soeur effectivement épargnée, il retourne à son village où les peaux sont des ours tués sont apportées et les viandes cuisinées, en respectant les coutumes et les hommages aux ours. le garçon deviendra un bon chasseur et épargnera les oursonnes en respect de la requête de sa mère-ourse, qui l'a formulée avant sa mort. "Je veillerai sur toi", a-t-elle assuré.
Il faut prendre cette histoire avec deux perspectives en tête. La première: Les Wendats sont très attachés aux ours, ce fameux "pacte sacrée entre les ours et les hommes". Il y a donc quelque chose de spirituel dans cette histoire, et cela est aussi lié à la seconde perspective: le cycle de la vie. Les autochtones ne pratiquaient pas la chasse comme les européens. Ça n'avait rien de récréatif ou de "viril", la chasse revêtait un caractère très grave, car elle repose sur un équilibre naturel. L'homme fait parti de ce cycle: s'il se nourrit d'animaux, c'est que cela s'inscrit dans ce cycle, mais la contrepartie est aussi vraie. Cela résulte aussi d'un gaspillage quasi inexistant, on prend tout , on utilise tout, quand on chasse un animal. le contraire serait lui faire offense. Cette dimension des premières nations, pour ne mentionner qu'elle, rappel le profond respect et la fine compréhension des autochtones pour la Nature, au contraire des européens de l'époque, complètement déconnectés. Bien avant les scientifiques, ils connaissaient les comportements dangereux à éviter comme l'exploitation en monoculture, la déforestation, la chasse intensive, etc. Bien avant les blancs, les autochtones savaient quel équilibre conserver. Malheur nous prit de minimiser leurs propos, pas vrai?


À travers ses histoires, vous ferez aussi connaissance avec les animaux du Québec et du Canada, le territoire que nous partageons ( inéquitablement, il est vrai) avec les communautés autochtones, qui était alors le leur. Ou plutôt, celui qu'ils habitaient avec les autres êtres vivants. Je précise ici que toutes les peuplades n'étaient toutefois pas amies. Mais il n'est pas question de ses rivalités ici. On parlera de nature, d'animaux verbaux, d'esprits du ciel, de présages et d'origines. Les histoires orales des peuples autochtones avaient des vocations qu'on peut retrouver dans les contes et légendes d'Europe dans la tradition orale issus des femmes : partager, informer et expliquer.


On vous présentera aussi une carte du Québec avec les actuels régions habitées par les trois peuples présentés ici, ainsi qu,un lexique sur les mots autochtones et les animaux du territoire.


J'ai apprécié ce petit livre, vraiment. le savoir, la sagesse et la culture autochtone ont presque été détruits par le génocide concerté du politique canadien et de l'Église Catholique pour décimer les premiers peuples. À l'heure actuelle, le Canada et le Québec sont en processus de réconciliation avec les peuples autochtones, aussi sensible et épineuse soit-elle. Je pense que le médium de la littérature, donc de la culture, reste la porte le plus propice aux échanges harmonieux et à la compréhension plus sincère de "l'autre", peut importe le côté. Tout ce qui ira dans ce sens, surtout de manière aussi respectueuse qu'ici, contribuera donc à paver le chemin.


Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans, mais je pense que la 4e année ( 9 ans) aussi pourrait être un bon lectorat, dépendamment du cursus scolaire.


Quelques liens pertinents:


Les 11 nations du Québec:
https://www.quebec.ca/gouvernement/portrait-quebec/premieres-nations-inuits/profil-des-nations/a-propos-nations


L'université des Premières Nations en Saskatchewan
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1917689/science-autochtone-plantes-medicinales-premieres-nations-universite-saskatchewan


Les éditions et Librairie wendat Hannenorak ( À Wendake):
https://hannenorak.com/

Shaynning

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