Deux histoires assez sympathiques, avec le même petit air un peu rétro, même si j'ai une nette préférence pour la seconde, à mon avis bien plus plus originale.
Dans L'histoire du chat Ignace, du ramoneur Fédia, et de la Souris Solitaire, on a affaire à un véritable garnement (Fédia), qui va s'installer en catimini dans la maison d'une souris maniaque et peu sociable, et littéralement lui pourrir la vie... jusqu'à la mettre en danger de mort et à révéler son bon coeur à la toute fin. le charme de ce premier conte tient beaucoup au lieu où il se déroule, une armoire-maison qui ravira à coup sûr le lectorat enfantin, remplie comme elle est de tiroirs de toutes sortes et de bonnes choses à manger. Quoique je trouve que Ludmila Oulitskaïa aurait pu encore davantage développer ce motif... En revanche, je n'ai pas su apprécier le personnage de Fédia, que l'auteure, je crois, a voulu présenter uniquement comme quelqu'un de très facétieux (contrairement à la très sérieuse Souris Solitaire), mais qui se révèle presque à la limite du sociopathe : les blagues qu'il joue à la Souris sont finalement assez peu sympathiques, voire carrément méchantes. L'idée était sans doute de redonner une chance aux deux personnages principaux, la Souris avec sa vie ennuyeuse et solitaire et Fédia avec son trop-plein d'insouciance. Ça n'a pas complètement marché avec moi, mais il y a des chances pour que ce soit beaucoup plus efficace avec un jeune public, moins intransigeant et plus spontané que moi.
J'aime beaucoup, en revanche, L'histoire du moineau Anvers, du chat Mikheïev, de l'aloès Vassia et de la mille-pattes Maria Sémionovna. Déjà, l'idée de faire d'un aloès le héros d'un conte est à mettre au crédit de l'auteure ; mais c'est surtout la rencontre de tous ces bras cassés, de tous ces personnages qui n'ont guère eu de chance dans leur jeune vie, qui est très bien menée, à la fois avec tendresse et beaucoup d'humour. On s'attache d'emblée et sans retenue à tous, y compris aux terribles petits mille-pattes qui feront leur apparition dans la seconde partie de l'histoire. C'est à la fois un récit qui traite, avec bonheur et légèreté, d'émancipation, d'amitié, de la constitution d'une famille, de solidarité et de responsabilité. Les difficultés, les incidents et les facéties se multiplient, là aussi jusqu'au tragique, avec une morale finale tout en humour.
Deux mots pour terminer. Un, je regrette le côté quelquefois un peu moralisateur "vieille école", du style : "ce n'est pas très bien de porter un jugement sur ses parents". Une phrase que je trouve franchement mal venue vu le contexte (le chat Mikheïev est délaissé par sa mère et maltraité par son beau-père, il a bien raison de porter un jugement sévère sur eux, ma foi, et c'est d'ailleurs ce qui va le mener à une vie meilleure) et qui m'étonne plutôt de la part de Ludmila Oulitskaïa, pour avoir lu d'autre ouvrages d'elle. Deux, les dessins de l'illustratrice Svetlana Filippova sont de grande qualité ; ils plairont ou non aux lecteurs, mais c'est là un véritable travail d'artiste.